21 leçons pour le XXIe siècle

Harari Yuval Noah, 21 leçons pour le XXIe siècle. Albin MIchel, 2018. Livre de poche

La manière dont Harari considère les défis de notre temps est souvent déconcertante. Par son habileté à la vulgarisation il réussit à rendre ces enjeux concrets. Il ne craint pas d'insister sur la complexité du monde, alors que les idéologies s'efforcent de nous le vendre comme simple pour autant que nous adhérions à leur vue.

Dans les premières années du XXIe siècle, les gens espéraient que le processus égalitaire se poursuivrait, voire s'accélérerait. En particulier, ils espéraient que la mondialisation propagerait la prospérité économique à travers le monde et que, de ce fait, l'Inde et l'Égypte finiraient par jouir des mêmes opportunités et privilèges que les habitants de la Finlande et du Canada.Toute une génération a grandi avec cette promesse.
Il semble aujourd'hui que cette promesse ne pouvait être tenue. La mondialisation a certainement profité à de larges segments de l'humanité, mais on observe des signes d'inégalité croissante entre sociétés et en leur sein.

p. 138


De manière générale, dans les sociétés modernes, la femme et l'homme sont façonnés par des appartenances multiples. A l'exception des régimes totalitaires, en particulier fascistes, il existe un espace pour moduler ses diverses affiliations. Mais, contrairement à ce que laisse penser la dénomination “sociétés libérales” notre degré de liberté reste réduit.

Quand vous vivez sous une oligarchie […] il y a toujours une crise ou une autre qui prend la priorité sur des sujets fastidieux tels que le système de santé et la pollution. Si la nation est confrontée à une invasion ou à une subversion diabolique, qui a le temps de s'inquiéter des hôpitaux surpeuplés ou de la pollution des fleuves ? En produisant un flux incessant de crises, une oligarchie corrompue peut prolonger sa domination indéfiniment.
Pourtant, bien que durable, ce modèle oligarchique ne séduit personne. À la différence d'autres idéologies qui exposent résolument leur vision, les oligarchies dominantes ne sont pas fières de leurs pratiques et ont tendance à utiliser d'autres idéologies comme écran de fumée.

p. 40


Une croyance voudrait qu'on s'appropriant le meilleur récit (chrétien ou bouddhiste, démocrate ou autoritaire, capitaliste ou marxiste,... ) on accède au bonheur. Harari démonte cette croyance, bien qu'il reconnaisse le rôle essentiel pour l'humanité des grands récits qui ont permis à l'homme de survivre à l'essor de la population en s'organisant.
En situant l'essence du bonheur au cœur de l'individu, l'auteur invite la femme et l'homme à ressentir la plénitude dans sa corporalité. En retrouvant cette connexion avec soi, l'individu pourra alors considérer ce qui se passe autour de lui avec davantage d'acuité. Les questionnements de Harari demeurent pourtant un privilège que seuls les individus aisés peuvent envisager. L'auteur lui-même dit consacrer un temps considérable à la méditation, un luxe inabordable pour nombre d'humains. Cette dissonance entre "l'élite" et "le commun" est une brèche qui peut facilement être utilisée pour prendre l'ascendant sur une société en construisant un récit trompeur. Harari reste très critique des religions et des nationalismes; en les dénonçant, il attaque surtout les dérives qui, dès qu’ils connaissent un certain succès, débordent les récits fondateurs.
Le triptyque de Harari débute par la mise en récit du développement de l'humanité, Sapiens, puis se poursuit par une anticipation d'un monde futur – ni paradis, ni enfer – mais dans lequel l'humain perd le contrôle de son destin. Ce troisième volet, central, nous place face à nos responsabilités, l'infime part de liberté réelle dont nous disposons.

[Des] traditions religieuses emplissent souvent la vie quotidienne de beauté et encouragent les gens à se montrer meilleurs et plus charitables. […]
D'autres traditions religieuses emplissent le monde de laideur et rendent les gens mesquins ou cruels. Il n'y a pas grand-chose à dire, par exemple, pour défendre la misogynie ou la discrimination des castes d'inspiration religieuse. Qu'elles soient belles ou laides, cependant, toutes ces traditions religieuses unissent certaines personnes en les distinguant de leurs voisins.

p. 232-233

L'auteur nous invite à agir sur cet élément central, celui de notre quotidien, en utilisant notre élan vital non pour arrêter le monde, mais en montrant le sens que nous recherchons à notre propre existence. Il s’agit de faire preuve de résilience alors que l’enchaînement des événements pourrait nous abattre et nous inciter au repli sur soi. Alors que les phénomènes complexes qui régissent le monde ont une influence planétaire, c’est probablement à cette échelle qu’ils doivent être régulés. Nous sommes donc soumis à un grand écartèlement entre notre responsabilité individuelle et la nécessité d’analyser les problèmes de notre époque de manière globale : un vrai défi quand il s’agit de dérégulation climatique, de conservation de la biodiversité, de santé publique ou d’acceptation de la diversité humaine.

Alors que nous avons désormais une écologie mondiale, une économie mondiale et une science mondiale, nous nous accrochons à la seule politique nationale. Ce décalage empêche le système politique de s'attaquer efficacement à nos grands problèmes.

p. 218

Les invitations de Harari à prendre de la distance pour comprendre les enjeux sociaux gagneraient à être prises en considération par les leaders politiques. Bien que très conscient des particularités nationales – sa situation d'homosexuel en Israël est sans comparaison avec celle des gays et lesbiennes d'Iran, par exemple, malgré l'influence des extrémistes religieux sur le gouvernement – l'auteur se montre parfois sentencieux, ne serait-ce qu'en titrant son essai «leçons».


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