Les nuits d'été

Flahaut Thomas, Les nuits d'été, Éditions de l'Olivier, 2020.

Un livre des confins. Le roman du Doubien raconte l'impact de la frontière sur la vie quotidienne en Franche-Comté. Thomas, Louise et Mehdi, trois jeunes issus d'un milieu populaire qui se connaissent depuis l'enfance, traversent aussi les lisières qui caractérisent l'entrée dans l'âge adulte.
Les routes qui les conduisent à l'usine, rubans d'asphaltes ponctués des lumières blafardes des tunnels, participent de la même efficience que la manufacture. Elles tentent de gommer les aspérités des vallons jurassiens comme la mutation des moyens de production cherche à éliminer les contraintes humaines.

Mehdi le sait, l'ennui et la douleur le bouffent. Il s’y habituera, il le sait aussi. Le dos se renforcera comme le muscle qui permet de résister à l'ennui.

p. 69-70

Flahaut joue habilement de la proximité de ses personnages que tout pourtant différencie. Thomas et Louise sont jumeaux, leur père et celui de Mehdi ont travaillé dans la même usine qui maintenant les rassemble ; les garçons y sont intérimaires alors que Louise l'a choisie comme champ d'études.
D'entrée, Thomas Flahaut souligne l'évolution du tissu économique. L'usine est comme aseptisée par la robotisation. Les ouvriers sont devenus des opérateurs ; la préférence est donnée à des intérimaires.
Les confins permettent aux opportunistes de jouer des discontinuités socio-politiques. Cette situation n'est pas sans créer des frottements que certains se plaisent à exacerber. Les disparités économiques donnent un avantage économique à la Suisse ; l'attrait de l'argent aide à supporter la pénibilité du travail. Les tâches ont évolué, la cadence dicte toujours le rythme. L'homme ne produit plus un objet, même pas partiellement, mais il sert la machine. Le sens de ses gestes se dilue et ça fatigue. La division des rôles demeure, codée par les vêtements de fonction. Aux frontaliers et travailleurs détachés les tâches subalternes, en particulier le travail nocturne, et aux Suisses, fuyants voire arrogants dans la description de Flahaut, les rôles dirigeants et administratifs.

Fier, il l’est aussi d’entrer comme une phalange armée dans le petit pays d'à côté pour signifier à ses habitants qu'ils sont là, qu'ils ne sont pas invisibles, eux qui œuvrent la nuit à l'usine, qui perdent là leur jeunesse.

p. 115

L'opposition entre la continuité géographique et la disparité sociale n'est qu'un aspect du roman. La divergence des parcours de Thomas et de Mehdi traduit un autre aspect des fractures sociétales. L'ambition des « darons » des jumeaux les a amenés sur les bancs de l'université, alors que Mehdi alterne les emplois précaires. L'auteur signifie une forme de réussite de ce dernier, une virilisation qui le rend capable de résister aux nuits en usine qu'il enchaîne avec le travail dans la rôtisserie itinérante de son père. Thomas lui est laminé par son emploi
chez Lacombe. Il ne vit plus, il dort de plus en plus longtemps, de plus en plus profondément. L'usine l'annihile.

Le quotidien est une mécanique fragile que Thomas a laissé se dérégler. II mène désormais une vie de chauve-souris volant silencieusement dans la nuit, éclairée parfois par l’éclat d’une lumière électrique. Louise se couche, Thomas se lève. Louise se lève, Thomas se couche. Et peu à peu la vie avec la chauve-souris se fait difficile.

p. 46-47

Flahaut croise les diverses strates qui constituent le tissu social avec quelques éléments analytiques amenés par l'écriture de sa thèse. Son livre s'apparente au témoignage sociologique. Il n'en utilise cependant pas le langage. L'écrivain préfère choisir ses mots avec soin, essayant de transmettre à ses lecteurs, les sentiments qu'ils lui inspirent.

Le site de l'éditeur
Lisbeth Koutchoumoff Arman pour Le Temps
Nicola Julliard pour la RTS
viceversa littérature.ch
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