Un chemin du Kumano Kodo


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Le Japon s'est même fait attendre lors du vol qui nous y emmenait : retardé à la suite de quelque ennui technique, nous avons finalement été dérouté vers un autre itinéraire.
Après une journée de récupération à Osaka, nous nous déplaçons à Asuka, Préfecture de Nara, où, pendant les VIe et VIIe s. de nombreux empereurs et impératrices résidèrent, faisant ainsi de cette localité la capitale du Japon. Comme les Palais de bois étaient abandonnés à la mort du souverain, les principales traces archéologiques sont des tumuli et des structures mégalithiques, probablement des tombeaux impériaux. La découverte de quelques-uns de ces sites nous donne l'occasion de cheminer dans une zone rurale où l’on est en train de récolter le riz. De grands jardins entretenus par des vieillards alternent avec divers établissements d'enseignement qui font confluer de nombreux lycéens dans le village.
Okadera Asuka


Temple Okadera


Les temples sont plus pérennes, même s’ils ont été plusieurs fois modifiés voire reconstruits. Ainsi Oka-dera, fondé en 633 et célèbre pour sa statue Nyoirin-Kannon, Bodhisattva de la compassion, dont l’argile en provenance d’Inde de Chine et du Japon aurait été mélangée par Kūkai, Kōbō-Daishi dont nous suivrons les traces sur l’île de Shikoku. Cette visite est l’occasion d’inscrire une première calligraphie dans mon journal.
Le train nous ramène à Osaka et, par la ligne côtière, nous rejoignons Kii Tanabe, une petite ville qui attire les randonneurs. Ces derniers se précipitent sur les établissements publics proches de la gare avant de monter dans le bus de Hongū qui leur semble entièrement réservé. Nous le quittons à Takijiri où, à la confluence de deux cours d'eau, s'élève un sanctuaire marquant l'entrée dans le domaine sacré du Kumano. C'est ici que débutait le Nakahechi que nous suivrons, en évitant les tronçons routiers, jusqu'à Nachisan, en évitant les tronçons routiers.
Hari-jizo

Hari Jizõ près de Takahara

Des documents remontant au début du Xe s. établissent le Nakahechi comme principal chemin de pèlerinage reliant à Tanabe à Shingū par l'intérieur de la péninsule, vers les sanctuaires shintō du Kumano sanzan 熊野三山, dont les kanjis signifient littéralement « les trois montagnes du domaine de l'ours ». Trois sites liés à la création mythologique du Japon telle qu’elle est rapportée dans les Nihon shoki, les Annales du Japon, achevées en 720. Ces lieux mystérieux, dans un environnement hostile, sont supposés être le domaine des kamis, les esprits. Lorsque le bouddhisme se répand au Japon, ses temples et oratoires s'insèrent dans les sanctuaires shintō et des ascètes s’installent dans le Kumano. Leur légende accroit la notoriété de la région; certains empereurs parcourent plusieurs fois le pèlerinage après avoir abdiqué. L'itinéraire devient alors si populaire du XIe au XIIIe s., dans toutes les classes de la population, qu’on parle de « Pèlerinage des fourmis vers Kumano » et on estime qu'il y a pu avoir jusqu'à 30 000 visiteurs par an.
Daimon-oji

Daimon-oji

Puis, les chemins de pèlerinages se diversifient dans tout le Japon et l’attrait du Kumano Kodo décline. Il semblerait que les décrets qui ont suivi l’ouverture du Japon en 1868 aient sécularisé le pays et l’interdiction du syncrétisme entre bouddhisme et shintoïsme signé la fin de ce pèlerinage. Les grands sanctuaires sont shintō et de nombreux lieux de culte bouddhiques qui étaient intégrés à ce parcours spirituel ont alors été démantelés.
Le chemin grimpe rapidement dans la forêt suivant la crête entre deux vallées qui se rejoignent à Takijiri : 400 m de dénivelé pour les premiers 1500 m. Un chemin bien marqué dans les racines proéminentes et dans une forêt épaisse avec quelques traces des légendes du Kumano Kodo – le passage sous un rocher étroit, la grotte où une louve aurait sauvé un enfant – et de nombreux oratoires. Aujourd'hui, ce sont des indications bilingues, japonais et anglais, qui soulignent ces discrets témoignages du passé.
Le paysage du très beau sentier qui se poursuit ensuite vers Chikatsuyu-oji aurait pu plaire à Mondrian ! Les arbres de type cyprès du Japon qui dressent leur tronc rectiligne vers le ciel et les billes retenues par des souches aménagées pour éviter l’érosion en composante horizontale. Le chemin est pavé de belles pierres plates qui se révéleront parfois glissantes lorsqu’elles sont mouillées ; elles sont moins périlleuses quand elles sont disposées en marches, mais alors elles contraignent nos pas.

NakahechiNakahechi

Le Kumano Kodo Nakahechi

Le soleil revenu donne une tout autre allure aux forêts : les taches de lumière rompent l’aspect vertical et mettent du mouvement aux troncs élancés. Cette omniprésence des bois de cèdres et de cyprès crée une ambiance onirique et, pour peu que la brume s’en empare, c’est un monde inquiétant qui prend forme. Les petits Jizō sont alors là pour rassurer le voyageur puisque toute l’infrastructure a disparu. Des Tea Houses sur le parcours nous ne voyons que des traces. Elles sont remplacées par quelques distributeurs de boissons, ici, à l’endroit où nous suivons une route forestière. Difficile d’imaginer ces relais alors que leurs empreintes sont maintenant complètement envahies par la forêt. Les notices historiques mentionnent l’existence de hameaux dans lesquels les voyageurs passaient aussi la nuit. On devine des murs de soutènement en terrasses dont on peut penser qu’elles servaient à la culture du riz. Quelle escorte accompagnait les personnages de haut rang ? Les forêts étaient-elles aussi denses ou les pentes, plutôt raides, étaient-elles cultivées ? Quel type d’habitat subsistait dans les années 1920, avant l’abandon de ces sites ?
Les conséquences du Typhon Talas n°12 de 2011 sont, elles, encore bien visibles puisque le chemin contourne encore la zone dévastée.
Hongu Taisha

Kumano Hongu Taisha

Le torii de Hosshinmon-oji était considéré comme une porte renforçant l’aspiration à l’illumination, à l’approche du site de Hongu. Alors que nous parcourons le Kumano Kodo entre « Occidentaux », Hongu Taisha est visité par un grand nombre de Japonais de tous âges. Nous y arrivons par l’entrée supérieure sur l’esplanade où les visiteurs achètent amulettes et autres marques de dévotion. Ils passent ensuite devant les divers sanctuaires pour s’y recueillir après avoir sonné la cloche pour signaler leur présence aux déités, s’être inclinés deux fois et frappé deux fois dans leurs mains en signe de respect. Prendre son chien pour le présenter devant les dieux est commun, même si, de manière générale, la vie de chien est bien moins agréable au Japon qu’en Suisse. C’est très rarement qu’on voit un maître sortir son animal, en particulier les jours ouvrables. Nous quittons le site par une volée de 158 marches que les personnes même âgées ne semblent pas craindre. Cet escalier monumental est bordé de bannières blanches décorés des kanjis 熊野大権現 (Kumano Daigongen) et du slogan de leurs sponsors.
Nachissan

Nachisan

Passé le point culminant, nous sommes dans une forêt où les mousses abondent et l’eau ruisselle de toutes parts avant d’être canalisée pour éviter les débordements. Nous mangeons le bentō du jour (deux boulettes de riz onigiri et un tempura de légume) devant un paysage magnifique : une crique au loin sur la côte Pacifique. Un coup d’œil pourtant moins enchanteur que celui de Kumano Nachisan Taisha où nous débouchons directement sur la terrasse des temples shintō et bouddhiste avec au loin la pagode et la cascade emblématiques du lieu. Plusieurs visiteurs ont revêtu des vêtements de pèlerinages bouddhiques et leur présence dans ce haut lieu du shintoïsme pourrait étonner. Elle confirme plutôt la flexibilité d’un bouddhisme qui s’est approprié les croyances ancestrales locales.

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