L'enclave

Vitkine Benoît. L’enclave. Les arènes, 2024

Correspondant du Monde à Moscou, Benoît Vitkine, est habitué à contextualiser les événements russes. Cette marque de professionnalisme se ressent dans quelques tournures didactiques du roman qu'il situe dans les environs de Kaliningrad.
Le retour du Gris, adolescent querelleur qui sort de prison, coïncide avec la chute de l'URSS.
Sa situation rappelle celle de Kaliningrad / Koenigsberg. La grande ville de Prusse Orientale vidée de sa population allemande, a été repeuplée d'habitants de diverses origines. Après 1991, soudainement, l'oblast se retrouve isolé de la Russie, entre la Lituanie et la Pologne devenues européennes. Vitkine, en rappelant le contexte historique – et la géopolitique actuelle – mêle symboliquement l'apprentissage de la liberté du Gris et la difficile émancipation de la Russie du “confort“ de la Guerre froide.

Tu crois que le vieux Brejnev, avec sa voix chevrotante, pouvait faire croire à un quelconque avenir radieux ? Il n'y a plus d'avenir communiste. Cela fait des décennies que l'on ne parle plus de progrès... Ça aurait dû vous mettre la puce à l'oreille, quand on a commencé, dans les années 1970, à vendre la victoire dans la Grande Guerre patriotique comme notre plus grande réalisation. Plutôt que l'avenir radieux, le passé glorieux ! L'essentiel était de maintenir les choses en l'état, d'éviter les troubles, les questions dangereuses. Nous avons dû composer, tous... Votre génération ne peut pas nous juger.

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Les rencontres du Gris, dans cet environnement hostile sont touchantes et porteuses d'un espoir ténu. Si un esprit de Koenigsberg se perpétue malgré les destructions et l'évacuation de ses habitants, il est possible de croire en la résilience d'une culture qui ne se réduise pas à celle d'une caste d'autocrates.

Le Gris comprend pourquoi les touches impressionnistes de la présence allemande, au lieu d'être incongrues, trouvent une place presque harmonieuse dans le paysage urbain. Ce sont les habitants de Kaliningrad qui lui impriment son caractère. Au premier abord, la ville paraît en être dépourvue, amoncellement d'époques et de cultures, architectures diverses grossièrement agencées, rencontre tumultueuse entre l'Europe et la Russie. Par leur assurance tranquille, leur morne aplomb de propriétaires, ses habitants comblent le vide créé par l'absence. Ceux de Prusse-Orientale considéraient la ville comme un joyau. Les Russes ont hérité de cette fierté, mais sans grandiloquence. Même les tramways grinçants aux couleurs pastel mangées par la rouille, parfaitement soviétiques, se fondent dans le décor. Ils semblent avoir été faits pour longer les étangs si aristocratiques du centre.

p. 88




Site de l'éditeur
Les midis de culture, France Culture