Balkans

Soldat-tortue

Nadj Abonji Melinda, Le soldat-tortue. Editions Métailié, 2023
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je griffonne, je gribouille avec mon crayon, je pose ma tête sur la table, je continue à griffonner, je me mords les lèvres pour que rien, vraiment rien ne les franchisse, pas un cri, pas un chant, rien, mais tout est au fond de moi, sans aucun doute, pour toujours.

p. 57


Zoltán – Zoli – est embarqué dans une guerre qui n'est pas la sienne, lui dont l'enfance a déjà été chahutée. Anna, sa cousine, vit le conflit à bonne distance de l'imbroglio balkanique; elle est établie en Suisse.
L'un et l'autre éprouvent les conséquences de ce conflit, les comportements abjects qui ont libres cours dans ce temps d'exceptions.

Zoli, massacrer, détruire, tuer, on met tout ça dans notre berceau, on le plante dans notre cerveau avant même que nous sachions penser, voilà ce que nous dit Crnjanski – oh Jenö, oui, d'un seul coup nous n'étions plus rien, chacun rien que sa propre peau, dans l'uniforme, la nuit, le ciel et sa parure étaient éteints, Jenó n'a pas cessé de citer Crnjanski, entre-temps il comptait les années nous séparant du moment où nous serions mûrs pour la bataille

p. 101


L'absurdité de la guerre transparaît dans une certaine confusion de la langue : la logorrée de Zoltán, apparemment sans filtre, et l'expression de douleur de Anna, plus structurée, et pourtant altérée par le tourment psychique. Un rythme de nature archaïque pour manifester la répétition des drames et l'injonction à la violence.

Site de l'éditeur
Isabelle Rüf pour Le Temps
Notice viceversa littérature

Chat noir, chat blanc

Chat noir, chat blanc, d'Emir Kusturica

Marie-Claude Martin pour Le Temps
Interview par Anna Hohler pour Le Temps
Isabelle Carceles pour RTS-culture
Fiche Ciné-Feuilles
Internet Movie Database

La combe aux Aspics

Tomić Ante. Miracle à la combe aux Aspics. Libretto. Noir sur Blanc, 2021.

Les contradictions de la société croate ne se sont pas estompées avec l'entrée, en 2013, du pays dans l'Union européenne. La comédie jouissive de Tomić pourrait illustrer cet écartèlement entre des hameaux de montagne retirés et les zones touristiques bordant l'Adriatique.
Le clan des Aspics se complait dans un univers de masculinité caricaturale, exhibant armes et véhicules grondants. Sans femme cependant ce monde aurait été voué à disparaître si Krešimir n'avait quitté son vallon en quête de l'être miraculeux. Un retour à la civilisation qui lui rappelle un passé déjà lointain avec lequel il renoue en moults rebondissements.
Cette équipée évoque avec dérision l'évolution des sociétés contemporaines et leurs contradictions.

Centrés l'un sur l'autre, Brane et Zone vivaient en une sorte d'autarcie : ils n'avaient besoin de qui que ce soit. Personne n'avait réellement pénétré leur fusionnement biologique, nulle relation humaine ne pouvait se comparer à l'intimité qu'ils ressentaient l'un envers l'autre. Même lors de leurs querelles et de leurs bagarres – et ils se querellaient et se bagarraient souvent –, un attachement sans faille régnait entre eux, excluant le reste du monde.

p. 111



Site de l'éditeur
Samuel Brussell pour Le Temps

Hive

La ruche – Hive de Blerta Basholli (Kosovo, Suisse, Macédoine du Nord, Albanie, 2021), avec Yllka Gashi, Çun Lajçi, Aurita Agushi, Kumrije Hoxha, Adriana Matoshi, 1h24.

Au lendemain du conflit qui a permis l'émancipation de la Kosovë de la mainmise serbe, l'espoir de libertés bute rapidement sur l'immobilisme d'une société très patriarcale.
Farhije, dont le mari a disparu pendant la guerre, est seule pour subvenir aux besoins de sa famille. Ses initiatives pour y parvenir sont vues comme des tentatives de subvertir l'ordre établi en dépossédant le chef de la cellule familiale de son rôle.
Blerta Basholli utilise avec intelligence la métaphore de la ruche pour illustrer les petites victoires de Farhije et de ses voisines : petit-à-petit elle réussit à prendre soin de la colonie d'abeilles et à en tirer un bénéfice.
L'ombre de Bashkim, le mari absent, domine le film. C'est en son nom que s'organise l'opposition masculine à l'entreprise des femmes que l'on accuse de déshonorer la communauté.
Inspiré de faits réels, le film rappelle que les traumatismes ne suffisent pas à renverser un ordre établi; ils peuvent au contraire contribuer à figer les situations dans ce qu'elles ont de plus sombre. Les femmes ont contribué tout au long du XXe s. à faire fonctionner les sociétés en guerre, mais la reconnaissance de leurs compétences et de leurs droits reste un objet constant de lutte, et pas seulement en Kosovë !

Dossier de presse
Antoine Duplan pour Le Temps
RTS – culture
Internet Movie Database

La vie joue avec moi

Goli Otok – wikimedia commons

Grossman David, La vie joue avec moi. Seuil, 2020.

L'image occupe une place centrale dans ce nouveau roman de David Grossman. L'image, et non l'imaginaire, qui est capable de figer l'intensité des sentiments et de les ancrer dans la mémoire. C'est parce que les violences subies par Véra n'ont pas pu être posées qu'une fatalité semble planer sur la famille, en particulier sur les femmes Nina et Guili, sa fille et sa petite-fille.
Le film qu'elles préparent avec Raphaël, le beau-fils de Véra, ouvre une autre perspective. Les rushes produits lors de son tournage devront être élagués pour rendre l'histoire compréhensible. Ce sont pourtant les scènes rejetées celles qui entrainent un changement de focale et la révision du scénario qui sont les plus prometteuses.

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The Witness

The Witness, de Mitko Panov (Suisse, Macédoine - 2018). Avec Bruno Ganz, Padrais Delaney, Gary Whelan, Marthe Keller.

Le film de Mitko Panov est malheureusement brouillon dans son approche de la thématique de la justice internationale en lien avec les guerres en ex-Yougoslavie. Lire plus…

Srebenica, nuit à nuit

Adrien Selbert, réalisateur et photographe, membre de l'agence VU' "découvre" Srebenica en 2005. Depuis il réalise plusieurs reportages dans la région dont ce glauque Srebenica, nuit à nuit qui questionne « Y’a t’il une fin à la fin de la guerre ? »

Soleil de plomb

Zvizdan
Film de Dalibor Matanic (2015)

Premier volet du triptyque : 1991, en Croatie, le climat est tendu. Jelena et Ivan, un jeune couple inter-ethnique, ne supporte plus les tensions et projette un futur en ville pour y échapper. Si leur ethnie les sépare, leur histoire de vie est bien proche. Nous assistons à la première mort du conflit qui embrase les Balkans.
Les mêmes acteurs, Tihana Lazovic et Goran Markovic, incarnent deux autres couples, l’un en 2001, l’autre en 2011 qui vivent des histoires étrangement parallèles à celle de Jelena et d’Ivan. La persistance des tensions ethniques, la souffrance qui perdure malgré l’évolution du contexte historique. Trois actes qui rappellent que les blessures d’une guerre sont lentes à cicatriser, mais qu’elles n’annihilent pas l’espoir d’une réconciliation.

Internet Movie Database
le site du film
La mémoire en Kosovë

Un jour comme un autre

A Perfect Day
Film de Fernando León de Aranoa (2015)

Un jour comme un autre suit une équipe humanitaire dans un pays éprouvé par la guerre. On pourrait se trouver en ex-Yougoslavie. Si les hostilités semblent avoir cessé, l’équilibre entre communautés est littéralement empoisonnés par les haines tenaces. Les intérêts personnels et les approches de chacun des expatriés sont divergents et pourtant c’est de leur entente que le succès de la mission dépend. Le cadre de procédures strictes laisse une large marge d’interprétation… Les enjeux sont tels qu’un geste malheureux pourrait remettre en cause l’équilibre précaire qui s’est imposé.
Fernando León de Aranoa traite ce sujet avec humour mais sans légèreté… jusqu’à la chute qui pourrait laisser croire qu’il suffit de laisser le temps résoudre la situation !

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