Genre

Much Loved

Much Loved (Zin li fik), de Nabil Ayouch (Maroc – France – Belgique 2015), avec Loubna Abidar, Asmaa Lazrak, Halima Karaouane, Sara Elhamdi Elalaoui, Abdellah Didane, Danny Boushebel, Amine Ennaji, Carlo Brandt.

Pour dénoncer les violences faites aux femmes, l'écrivaine russe Lida Youssoupova les fait surgir des oublis de l'Internet. Elle montre comment une justice au nom de la défense des « valeurs familiales traditionnelles » dénie aux victimes la reconnaissance même des crimes subits. Sa poésie, aux accents de slam , claque les mots crus d'une violence effarante.

Selon la loi fédérale du 07.02.2017
n°8-F3
« Sur les modifications apportées à l'article 116 du code pénal de la Fédération de Russie »
l'article 116 du code pénal de la Fédération de Russie
exposé sous sa forme actualisée
ne prévoit pas
de responsabilité pénale
pour les faits
de coups et blessures
commis sur
des personnes proches.

Verdicts

Le film d'Ayouch nous fait entrer dans le milieu de la prostitution à Marrakech. Cette pratique y est illégale et le film a été interdit de projection dans son pays par décret ministériel pour cause d’"outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine et atteinte flagrante à l’image du royaume". Sous couvert de pureté, ce contexte favorise les violences exercées par des hommes sur les femmes, laissées sans protections.
Le réalisateur décrit crument, mais avec sensibilité, les pratiques du sexe tarifé et n'omet pas de signifier l'hypocrisie des hommes, moyens-orientaux ou européens, qui les favorisent.

much loved ayouch

Je ne veux en aucun cas être moralisateur, condamner, exercer un jugement de valeur, qu’il soit négatif ou positif. Je cherche simplement à dire. Et dire, c’est montrer. Montrer ce qu’est la vie de ces prostituées, montrer leur rapport aux hommes, leur rapport entre elles, à la société, à l’hypocrisie sociale et à la famille, censée être un pilier qui les soutient et qui représente en réalité davantage un manque cruel.

Nabil Ayouch
Dossier de presse


Internet Movie Database
Fiche Ciné-Feuilles
Norbert Creutz pour Le Temps Interview de Nabil Ayouch

Emancipation de la psychanalyse

Laufer Laurie. Vers une psychanalyse émancipée, renouer avec la subversion. La Découverte, 2022.

Les gender studies, en remettant en cause une perception binaire de la société, suscitent davantage de prises de position clivantes que de réflexions constructives. Dans cet essai, la psychanalyste Laurie Laufer souhaite ramener une certaine raison parmi les psychanalystes.

Dans quelle mesure les théories queers et les études de genre peuvent-elles permettre à la psychanalyse de (re)devenir une subculture ?

p. 179


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Carnage

Carnage, de Roman Polanski (France/Allemagne/Pologne), avec Jodie Foster, Kate Winslet, Christoph Waltz, John C. Reilly, 1h20.

Le huis-clos de Polanski – une comédie théâtrale, au fond – déclenche un rire spontané. Cet enjouement serait probablement aujourd'hui interprété comme un mépris de la différence et raviverait les polémiques dont le réalisateur est la cible.

Antoine Duplan pour Le Temps
Fiche Ciné-Feuilles
Internet Movie Database

La nuit des pères

Josse Gaëlle. La nuit des pères. Les éditions Noir sur Blanc, Notabilia, 2022.

La présence de la montagne est obsédante. Sa masse imposante écrasante. Quand Isabelle revient dans la vallée où elle est née, après plusieurs années d'absence, c'est avec appréhension.

Du jour où j'ai découvert l'eau, l'apesanteur du corps, même dans l'effort, j'ai su que j'étais dans mon élément. Je me suis toujours méfiée de ta montagne, enfant, une terreur obscure, que cette masse nous anéantisse, nous perde ou nous détruise. Qu'elle se réveille.

p. 75

Cet environnement est celui dans lequel le père a excellé comme guide de montagne. Un refuge qui lui a évité de se confronter aux autres et même à sa fille. Si elle renoue, c'est davantage par solidarité pour Olivier, le frère, qui accompagne l'homme vieillissant en train de perdre ses repères. Lire plus…

Le lait de l'oranger

Halimi Gisèle. Le lait de l’oranger. L'imaginaire, Gallimard, 1988.

Je n'aimais pas le lait et je détestais la contrainte. Mais je croyais juste de l'imposer à l'[oranger] qui m'était si cher.
La vie entre les gens, l'histoire entre les peuples sont faites de ces contradictions. Se font à travers ces contradictions.

p. 95

Le récit autobiographique de l'avocate Gisèle Halimi fait écho aux polémiques de notre ère postcoloniale.
Naître en Tunisie en 1927, femme séfarade prédestine à une vie dans l'ombre. Une éducation française crée le paradoxe. Les valeurs sur lesquelles se fondent la République sont en contradiction avec le contrôle de la population maghrébine.

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Cher connard

Despentes Virginie. Cher connard, Bernard Grasset, 2022.

Le ton familier de ce roman épistolaire éclate dès la couverture aux couleurs criardes. Le style adopté par Virginie Despentes s'apparente étrangement davantage à l'oral pour cet échange entre un romancier à succès et une actrice sur le déclin : deux « victimes » de leur image sur les réseaux sociaux – évidemment dans des postures différentes. Lire plus…

Le jeune homme

Ernaux Annie. Le jeune homme. Gallimard, 2022

J'avais de nouveau dix, quinze ans, et j'étais à table avec ma famille, mes cousins, dont il avait la peau blanche, les pommettes rouges des Normands. Il était le passé incorporé.
Avec lui je parcourais tous les âges de la vie, ma vie.

p. 21

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Grande couronne

Kiner Salomé. Grande couronne. Christian Bourgois éditeur, 2021.

Ma mère s’est accrochée à ma vocation d’avocate comme un gondolier à sa rame. Elle envoyait des lettres à tour de bras, elle connaissait une famille bosniaque qui avait eu recours à des services de défense pour faire valoir ses droits de rester sur le territoire français. Je l’ai tout de suite prévenue : hors de question que je me mette au service des pauvres, j’en avais eu ma claque à la maison.
– Mais on n’est pas pauvres… m’a-t-elle répondu en retirant le poignard que je venais de lui planter dans la poitrine.
– Alors pourquoi on vit comme des pauvres ? Pourquoi t’achètes que de la bouffe de merde ? Pourquoi on porte jamais de la marque ? Pourquoi on va pas au Club Med ?

p. 179


Une adolescence en banlieue. La narratrice rêve d'exhiber les signes extérieurs de réussite promus par l'envahissante société de consommation. Prête à tout pour arborer l'accessoire qu'elle juge indispensable, elle nous entraine dans un univers glauque, au tournant de ce siècle. Tennessy se laisse entrainer dans un réseau improvisé et tarife ses faveurs aux garçons. Une manière d'exacerber les inégalités de genre.
L'univers dépeint par Salomé Kiner colle à l'adolescence : ses excès, ses obsessions, son besoin d'identification. L'autrice amène – de façon trop marginale, à mon sens – les questions de la précarité due aux accidents de la vie ou aux inégalités sociales.
Le milieu dans lequel évolue l'héroïne est plus instable que démuni. Tennessy assume clairement des responsabilités d'adultes pour sa mère et la fratrie. Cette parentalisation tranche avec le déficit d'empathie auquel fait croire le manque d'épaisseur des protagonistes.
Grande couronne se réfère-t-il alors à la banlieue parisienne ou à l'ego de la narratrice ? L'autrice en décide autrement par une pirouette finale toute de légèreté !

Isabelle Rüf pour Le Temps
QWERTS – Isabelle Carceles pour RTS-culture
Site de l'éditeur

Le silence d'Isra

Rum Etaf. Le silence d’Isra. Pocket, Éditions de l’Observatoire, 2021.

Américaine d'origine palestinienne, Etaf Rum, connait la situation des femmes musulmanes de New York. Son roman, autour de trois générations de établies à Brooklyn, offre une perspective qui tranche avec la tendance française à se focaliser sur la religion islamique. Il souligne ainsi la richesse que représente les différents points de vue pour la compréhension des phénomènes sociétaux.

« Ce n'est pas parce que tu es née ici que tu es américaine. Tant que tu vivras au sein de cette famille, tu ne seras jamais américaine. »

p. 316

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Le cerveau masculin

Gygax Pascal, Zufferey Sandrine et Gabriel Ute, Le cerveau pense-t-il au masculin ?  Cerveau, langage et représentations sexistes. Paris, Le Robert, Temps de parole, 2021.

Toutes les langues se transforment au fil du temps, mais ces changements sont lents et mettent souvent beaucoup de temps à s'installer complètement. Ces évolutions sont très intéressantes en elles-mêmes à étudier, mais elles le sont tout autant par ce qu'elles révèlent des contextes qui les ont engendrées. En ce qui concerne le masculin et son statut dominant dans la langue, on peut facilement s'imaginer que les contextes facilitant ces évolutions ont été des contextes imprégnés d'androcentrisme, voire de misogynie. C'est-à-dire des contextes dans lesquels les hommes étaient non seulement considérés comme plus importants, mais également comme supérieurs.

p. 55

Pourquoi la mention du langage inclusif provoque-t-elle autant de débats passionnels ? La norme grammaticale induit une structuration de la société en décalage constant avec la réalité sociale. Les coauteurs mettent en évidence les biais de genre et identifient les règles qui en sont la cause. En inventoriant les pratiques, en français et dans d'autres langues européennes, ils en soulignent les limites.
Cette recherche en psychologie sociale et en psycholinguistique ne prétend pas distinguer le juste du faux. Elle désigne pourtant les éléments qui dérangent : contestation de l'hégémonie masculine corrélée à l'invisibilisation de la femme notamment dans les professions “prestigieuses”. En évoquant une société non binaire, elle souligne un aspect très contesté, souvent identifié à une volonté de renverser l'ordre social.
Les coauteurs rappellent que la langue est en constante évolution et que l'usage est le plus fréquemment en avance sur la norme. En interrogeant notre utilisation de la langue, ils encouragent à adapter notre expression à la réalité vécue tout en essayant d'éviter les mauvaises réponses à de bonnes intentions.

Comme il est relativement difficile de retracer l'origine de l'expression langage inclusif, on en trouve une multitude de définitions. Pour nous, l'expression la plus juste, par rapport à ce que nous venons de dire, serait d'ailleurs langage non exclusif, tant l'utilisation du masculin exclut toutes les personnes qui ne s'identifient pas à la catégorie « homme ». En partant de cette constatation, nous définirons le langage inclusif de manière très large comme « englobant toute forme de langage qui vise à démasculiniser la langue ». Deux types de méthodes entrent dans cette définition : la neutralisation et la reféminisation.

p. 131

Les auteurs ont pris soin d'utiliser scrupuleusement un langage inclusif, sans nuire à sa lisibilité. Toutefois, c'est surtout sa nature explicite qui est évidente, d'où une certaine lourdeur didactique…

Site de l'éditeur
Site de Pascal Gygax
Catherine Frammery pour Le Temps
Parler comme jamais – écriture inclusive : pourquoi tant de haine ?
Tribu – le langage inclusif

Quoi de neuf pussy hat ?

Musée historique de Lausanne

La densité voire la surcharge visuelle se veut le reflet de l’intensité du débat et de la richesse des interrogations à l’ordre du jour en termes d’égalité, cinquante ans après l’adoption du suffrage féminin. Proposant une sorte d’état des lieux (ainsi que le suggère son titre), l’exposition prend la mesure des avancées comme des pesanteurs, en mettant en perspective expériences locales et contexte global, situation présente et exemples historiques.

Notes d'intention
Dossier de presse


L'exposition rapproche le questionnement sur le genre, une attitude que certains qualifieront de post-féministe, dans la sphère locale. Loin d'élucubrations d'intellectuels victimes de la bien-pensance étasunienne et des modes déconstructivistes, les thèmes abordés concernent le devenir de la société. Le droit de vote est l'aboutissement d'une longue lutte pour l'acquisition d'une égalité citoyenne, une étape dans un processus d'équité entre femmes et hommes. Un processus qui prend en compte les divers aspects de la différenciation sexuelle et implique donc une interrogation fondamentale sur l'identité.

Traces «genrées»
Site du musée

Métamorphoses d'une femme

Louis Edouard, Combats et métamorphoses d'une femme. Seuil, 2021.

Les romans d'Edouard Louis, incisifs, ont une forte composante autobiographiques. Cette mise en valeur de soi, le lien entre homosexualité et ascension sociale font de l'auteur une personnalité d'autant plus clivante qu'il se positionne politiquement. En affichant son plaisir à fréquenter des établissements luxueux, celui qui est né Eddy Bellegueule transgresse les codes sociaux. Cette revanche sur l'ordre établi irrite.

Une autre question est-ce que je peux comprendre sa vie si cette vie a été spécifiquement marquée par sa condition de femme ?
Si je suis construit, perçu et défini par le monde qui m'entoure comme un homme ?

p. 39

Et Édouard Louis ne boude pas son plaisir en devançant ses détracteurs : son roman n'est pas de la littérature puisqu'il en viole les codes.
Combats et métamorphoses d'une femme est espiègle. Il y ressert la même thématique d'une adolescence douloureuse, mais en mettant plus de nuances il rend le propos moins tranchant, moins egocentré. Ce ton moins polémique rend le roman d'autant plus percutant. Lire plus…

Un garçon comme vous et moi

Jablonka Ivan, Un garçon comme vous et moi. Seuil, La librairie du XXIe siècle, 2021.

C'est dans une recherche historique autobiographique que nous entraine l'auteur. Son parcours singulier de fils d'orphelin de le Shoah est relu avec le filtre des études genre contemporaines. Ce croisement entre un destin collectif et un ressenti intime permet une synthèse de l'évolution sociale en un siècle.

[…] dans les années 1950, on nous garantissait, à nous les garçons, que nous allions forcément rencontrer une guerre en vieillissant. On se construisait avec cette idée de violence et on valorisait l’apprentissage de la bagarre aux poings, même les intellectuels dont j’étais en tant que médecin. Partant, les rôles entre les hommes et les femmes étaient très définis. Depuis les années 1970, la violence a déserté la société occidentale, pour la première fois de son histoire, et la force ne constitue plus un élément de pouvoir, elle a été remplacée par les diplômes obtenus à l’école.

Boris Cyrulnik
Le Temps, 6 mars 2021

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Comme un homme

Vörös Florian, Désirer comme un homme, Enquête sur les fantasmes et les masculinités. La Découverte. 2020.

Sur sa fiche de présentation de l'Université de Lille, Florian Vörös indique que “[s]es recherches se situent au croisement des Cultural Studies, de l'ethnographie des pratiques numériques et des études de genre et de sexualité”. En publiant un essai sur l'influence de la pornographie dans la socialisation masculine, il traite plus précisément des “représentations culturelles et les expériences vécues des sexualités masculines (plaisir, normes, hiérarchies, violences)” en tenant compte du regard féministe sur les hommes mâles.
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L'Arabe du futur, 1987-1994

Sattouf Riad, L'Arabe du futur, Une jeunesse au Moyen-Orient.
Tome 4 – 1987-1992, Allary Éditions, 2018
Tome 5 – 1992-1994, Allary Éditions, 2020

Arabe Futur 5
La double appartenance française et syrienne de l'auteur, amplifiée par le désaccord parental, est une réalité que connaissent beaucoup d'enfants. L'instabilité du lieu de domicile est aussi un fait que doivent assumer de nombreux élèves avec de fréquentes incidences sur leur scolarisation. Dans la situation de Riad, ces déplacements le confrontent à des systèmes éducatifs fondamentalement différents, puisque fondés sur des conceptions culturelles et politiques opposées.
Le dessin est le moyen pour Sattouf de dépasser ces impasses identitaires.
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Chère Ijeawele

Adichie Chimamanda Ngozi, Chère Ijeawele, ou un manifeste pour une éducation féministe, Gallimard 2017.

Maintenant que je suis moi aussi mère d'une délicieuse petite fille, je réalise à quel point il est facile de donner des conseils sur la façon d'éduquer un enfant quand on n'est pas réellement confrontée soi-même à l’immense complexité de cette tâche.
Pourtant, je suis convaincue de l'urgence morale qu'il y a à nous atteler à imaginer ensemble une éducation différente pour nos enfants, pour tenter de créer un monde plus juste à l'égard des femmes et des hommes.

p. 12

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L'Arabe du futur 1984-1987

Sattouf Riad, L'Arabe du futur, Une jeunesse au Moyen-Orient.
Tome 2 – 1984-1985, Allary Éditions, 2015
Tome 3 – 1985-1987, Allary Éditions, 2016


Le récit autobiographique d’enfance impose de trouver le moyen d’articuler la perception, parfois naïve et étonnante, qu’a l’enfant des événements avec ce qu’en sait et comprend l’auteur adulte : Riad Sattouf exploite un certain nombre de procédés visuels et littéraires qui permettent de produire des effets parfois pathétiques, souvent comiques, mais aussi presque toujours déstabilisants pour le lecteur.

Riad Sattouf, L'écriture dessinée
Bibliothèque publique d’information / Centre Pompidou


Arabe Futur no3
Nouvelle incursion dans le monde de Riad Sattouf : poursuite de son parcours de vie et insertion dans la société.
L'«Arabe du futur», enfant immigré en Syrie, finit par devoir sortir du cocon familial pour se confronter à son environnement. La scolarité est un tremplin qui, en imposant une rupture, alimente les angoisses enfantines. En jouant sur les codes de la diversité culturelle, Sattouf souligne que l'école représente une injonction à une socialisation normative.
Rétrospectivement, l'auteur en décode les limites et les incohérences. L'enseignante qu'il trouve devant lui n'est pas la femme représentée dans les manuels scolaires. Cette discordance entre les intentions et les faits marque tout l'univers de Sattouf. Lorsqu'il s'agit de religion, les accommodements voire l'hypocrisie des adultes est particulièrement déconcertante pour l'enfant. Cette fausseté n'est pas spécifique à la culture musulmane… comme il le découvre lors d'un long séjour en France durant lequel il vit l'expérience de l'école française.
Le regard de l'écrivain dessinateur est aiguisé par son positionnement entre deux mondes : français/syrien, paternel/maternel, parental/scolaire… En observant ces alternatives, il module sa personnalité dans l'univers que la famille et la société lui ouvrent. Une belle dose de dérision lui permet de dépasser les troublantes inconstances des adultes.

Exposition L'écriture dessinée Centre Pompidou
Riad Sattouf

King Kong théorie

Despentes Virginie, King Kong théorie, Grasset, Livre de Poche, 2006.

C'est mon côté classe moyenne, il y a des évidences que je peine à avaler, et je manque tout le temps de subtilité.

p. 76

Essai politique à forte composante autobiographique le texte de Virginie Despentes décoiffe. Plus subtil que le style direct de "cet essai plein de gros mots" –  – le laisse supposer, ce livre interroge la place de la femme dans l'espace public.
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Moissons funèbres

Ward Jesmyn. Les Moissons Funèbres. 10/18 Globe, L'école des loisirs, 2016

Le privilège de recevoir une bonne éducation et la perspective de grimper un jour l’échelle sociale, je les devais aux mains de ma mère et à son inexorable coup de balai. Tout cela était injuste.

p. 230

Le récit autobiographique de Jesmyn Ward donne un éclairage vibrant sur le racisme ordinaire aux États-Unis. En pleine vague provoquée par la mort violente de George Floyd et le flux d'images symboliques qui l'a suivie, ce texte témoigne de l'importance de l'estime de soi. Lire plus…

L'Arabe du futur

Sattouf Riad, L'Arabe du futur, Une jeunesse au Moyen-Orient.
Tome 1 – 1978-1984, Allary
Éditions, 2014
Arabe futur no1
Fils d'une Bretonne et d'un Syrien venu étudier en France, le jeune Riad est confronté au nationalisme de son père. Ce dernier, détenteur d'un doctorat en histoire, est convaincu de pouvoir faire évoluer le monde arabe en lui apportant l'éducation. Il postule donc à des postes en Libye puis en Syrie où sa famille le suit. Bien qu'ayant apprécié la liberté offerte par la société occidentale, française en l'occurrence, son obsession de la réussite l'aveugle. Impossible pour le père de percevoir les dérives autoritaires de Mouammar Kadhafi et de Hafez Al-Assad.
Dans le premier volume, qui se rapporte à ses six premières années de vie, Riad Sattouf représente un monde dont il perçoit les incohérences. La violence entre pairs, la cruauté envers les animaux sont des éléments qui le retiennent à l'intérieur, dans le monde des femmes. Son père le voudrait viril, même si lui-même ne se montre pas très courageux quand il s'agit de protéger la famille restreinte. Pris entre les rêves de grandeur du père et la réalité d'une vie confinée dans un environnement hostile dont il ne maîtrise pas la langue, Riad évolue dans un contexte incompréhensible pour un enfant. Il voit sa mère s'étioler en se conformant aux injonctions d'un mari soumis à la loyauté familiale, dans le sens large du cousinage au détriment du couple.
Par son langage direct, Sattouf semble régler un compte avec son père. S'il ne l'épargne pas, il s'en prend bien plus sûrement à tous les convaincus de leur supériorité, à tous ceux qui sont aveuglés par leur idéologie.

Ma passion pour mon moyen d'expression m'a sauvé.

RTBF – 28.11.2018


Entrer sans frapper RTBF

Un monstre qui parle

Preciado Paul B. Je suis un monstre qui vous parle. Rapport pour une académie de psychanalystes. Grasset 2020.

Le philosophe Paul B. Preciado est très présent dans les médias. Ses prises de position quant à une rupture en cours, comparable à celle de l'invention de l'imprimerie, ont un écho dans un monde en crise. Son intervention de novembre 2019 au congrès de psychanalystes de l'Ecole de la cause freudienne en France, qui est l'objet de cet essai, rappelle ses thèses dans un registre accusateur.
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Une seconde mère

Une seconde mère de Anna Muylaert (Brésil 2015) avec Regina Casé, Michel Joelsas, Camila Márdila, 1h54

Regina Casé incarne magnifiquement une employée de maison de Sao Paolo, Val. Elle a quitté le Nordeste et sa fille pour s’immerger dans la vie bourgeoise de Barbara et Carlos. Elle élève leur fils Fabinho dont elle est la Ia seconde mère. Lire plus…

Retour à Reims

Adaptation du livre Retour à Reims de Didier Eribon (Fayard, 2009) dans une version de la Schaubühne Berlin

Présenter un essai au théâtre, même le texte d'Eribon, n'est pas courant. Le dispositif de Thomas Ostermeier est astucieux. Il représente Irene Jacob dans un studio; elle sonorise un film qui mêle des éléments biographiques de l'auteur et des images d'archives qui en situent le contexte.
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Des sexes innombrables

Hoquet, T. (2016). Des sexes innombrables : Le genre à l'épreuve de la biologie (Science ouverte). Paris: Seuil.

La question du genre est très actuelle. Qu'il soit question de «mariage pour tous» ou de «l'égalité des droits», la tension entre une évidence naturelle et une construction sociale est omniprésente.

[…] il n'y aurait que du culturel, du social, de l'historique dans les affaires de sexe, mais tout ce relatif est très ordonné : un pesant déterminisme informe les destinées. La variation interindividuelle est domestiquée, canalisée par ce qu'on peut appeler le «système du genre». Comme Barbie et Ken, chacun est tenu d'être identifiable sans avoir à baisser sa culotte. Et malheur à ceux ou celles qui ne se prêtent pas ou mal au jeu, qui ne «performent» pas leur genre comme attendu.

p. 12–13

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Retour à Reims

Eribon, Didier. Retour à Reims. Flammarion Champs, coll. Essais, 2018.

Dans sa couverture jaune, Retour à Reims, cache quelques clés pour comprendre la crise des gilets fluorescents qui agite la France.

A qui la faute, […] si la signification d'un « nous » […] se transforma au point de désigner « les Français » opposés aux « étrangers », plutôt que les « ouvriers » opposés aux « bourgeois », ou, plus exactement, si l'opposition entre « ouvriers » et « bourgeois », perdurant sous la forme d'une opposition entre « gens d'en bas » et « gens d'en haut » (…), intégra une dimension nationale et raciale, les gens d'en haut étant perçus comme favorisant l'immigration et ceux d'en bas comme souffrant dans leur vie quotidienne de celle-ci, accusée d'être responsable de tous leurs maux ?

p. 135

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Nora Webster

Colm Tóibín, Nora Webster, Trad de l’anglais par Anna Gibson, 10/18, 427 p.

En décrivant la conquête, pas-à-pas, de l’indépendance de Nora Webster, Tóibín rappelle que l’expression d'une personnalité n’est jamais aisée.
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Histoire de la violence

Édouard Louis, Histoire de la violence, Seuil 2016, Cadre rouge, 240 p.

L’auteur raconte une rencontre fortuite, la nuit de Noël 2102, la curiosité, le désir qui naît, les ébats amoureux et le basculement qui conduit au viol.
Pour développer cette trame, il utilise deux voix, celle de sa sœur, qui relate à son mari le récit que lui en a fait le narrateur, et le narrateur lui-même qui ajoute, rectifie. Cette construction littéraire donne un effet de distanciation renforcé par les métacommentaires de l’auteur “je déplaçais l’enjeu de la vérité, c’était un autre type de vérité qui retenait mon attention, c’était la vérité de la forme qui m’intéressait et pas le contenu […]” (p. 63-64). La richesse de la langue, les niveaux syntaxiques séparant le narrateur et sa sœur, le rythme fluctuant de l’écriture rendent en soi ce texte prenant.
Ses amis lui enjoignent de déposer plainte; il le fait. Les médecins lui demandent de voir un psychiatre; il refuse… En refermant le livre, j’ai l’impression d’avoir été un relais “thérapeutique”.

La grande librairie
site de l’éditeur
Dans le genre d'Edouard Louis (juin 2018)

La révolution du plaisir

Shereen El Feki, La révolution du plaisir : enquête sur la sexualité dans le monde arabe, traduit de l'anglais par Samuel Sfez, Autrement 2014

Quelles sont les conséquences des soulèvements populaires dans le monde arabe sur l’émancipation des femmes et l’évolution des mœurs ? Scientifique au Canada, l'auteure a rencontré des hommes et des femmes pour aborder cette question.
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