Stalag IIB

Tardi Jacques. Moi, René Tardi, prisonnier de guerre au Stalag II B, vol. I & II. Casterman, 2012-2014.

La nécessité de mémoire sous-tend l'œuvre de Tardi. Comme Spiegelman, l'auteur de l'essentiel Maus, son enfance a été meurtrie par l'expérience traumatisante de son père.

Fils de poilu, engagé volontaire dans l'Année française en 1935 René Tardi, le père du dessinateur, est tôt fait prisonnier par les Allemands. Il montre du ressentiment pour l'incapacité de sa hiérarchie à conduire la troupe et à mener le combat. Après un long voyage, René Tardi et des prisonniers de guerre (sur)vivent quelque cinq ans à Hammerstein en Poméranie-Orientale dans un Stammlager, (camp ordinaire).
Alors que le tournant de la guerre provoque le repli de l'armée et des civils allemands, commence une longue errance de quatre mois, à pied, devant l'Armée rouge. Bien que les conditions soient rudes, rencontrer les «Marches de la mort» (Todesmärsche) provoque sur ses prisonniers de guerre une forte impression.
Dans les deux opus de Stalag IIB, du nom du camp où fut affecté son père, le dessinateur se représente à côté de son géniteur. Parfois insolent, parfois didactique, ce dispositif permet de contextualiser les propos paternels. Le ridiculisant pour son insistance à nommer un tank, "un char" , il ajoute au récit de la déambulation du retour, la dimension tragique et tout simplement le danger. Il relève notamment que la colonne ne précède que de peu l'avancée du front et qu'à plusieurs reprises, il s'en est fallu de peu qu'elle soit anéantie. Ce péril affronté semble occulté par le père.
René Tardi aurait aimé ajouter une touche héroïque à son destin en faussant compagnie à ses gardiens. Ceux-ci deviennent particulièrement hargneux alors que la défaite se transforme en déroute. Les garde-chiourme les plus retors furent désarmés et tués par les prisonniers…

– Cinq salauds au bout d'une corde… pour l'exemple ! […]
– Tu as fait ça ! C'est dégueulasse !
– Crois-moi, personne n'a eu la larme à l'œil !
– Vous vous conduisez comme eux ! Papa, qu'est-ce que tu en penses ?… Tu ne réponds pas ?

vol. 2 – p. 93

L'auteur aurait préféré un père n'ayant commis aucun tort ! Il reconnaît cependant
A la différence de Rumiz et de Maus, Tardi reste dans un registre plus historique qu'interprétatif ou politique. En mettant en images les faits, il en perpétue la mémoire. C'est sa manière de rendre hommage à ses prédécesseurs.

[…] comment faire pour oublier cette saleté de guerre qui les avait conduits derrière les barbelés des camps, lui et près de deux millions d'autres malheureux bidasses, à peine mobilisés et si vite vaincus ? Comment oublier cette obscénité qui leur avait volé leur jeunesse, des années durant, et leur offrait comme prime de retour l'humiliation cuisante de la défaite et le mépris, notamment de la part de leurs aînés, vétérans de la Grande Guerre ? Comme s'ils étaient responsables de cette mémorable Bérézina ! Et comme si les années de captivité sur le sol allemand n'avaient pas suffi à en payer le prix.

Dominique Lagrange
vol. 2 – p. 136



Stalag IIB sur le site des Editions Casterman

Site personnel en mémoire de Jean Massé
Inscriptions des symboles et icônes du Troisième Reich dans Maus d’Art Spiegelman

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