Une langue venue d'ailleurs

Mizubayashi Akira. Une langue venue d’ailleurs. folio, Editions Gallimard, 2013.

Aborder une nouvelle langue comme on apprend un instrument de musique, en faisant ses gammes. Apprendre le français pour échapper aux discours stéréotypés et, selon l'auteur, vides de sens de l'agitation estudiantine japonaise de la fin des années 1960.

Je vis ce jour-là combien les professeurs français pouvaient être éloquents... Évidemment, je ne comprenais pas tout, loin de là. Mais l'éloquence, une grande éloquence était là, qui me semblait contraster avec le vide abyssal de toutes les harangues « révolutionnaires » dont mes oreilles avaient été rebattues et harassées. C'était quelque chose de nouveau, une dimension nouvelle de la langue qui se révélait à moi.

p. 121


La musique est au cœur de l'œuvre de Mizubayashi : se sensibilité à la diversité des interprétations l'amène à jouer avec les subtilités linguistiques. Aux codes de l'expression musicale, l'auteur préfère l'apprentissage de la langue française qu'il aborde d'abord par une écoute répétée, comme on s'immerge dans l'enregistrement d'un concerto ou d'un opéra.

Saluer des personnes inconnues ? Eh oui, cela est fréquent en France; il suffit de se promener dans les rues de Paris ou de prendre le métro, d'être attentif aux spectacles qui s'offrent çà et là dans les lieux publics. Tandis que dans mon pays, un tel geste, potentiellement créateur de liens, serait perçu comme une violence inacceptable ou tout au moins comme une incongruité suspecte. La vie sociale s'organise de telle manière qu'un individu (pas un groupe constitué comme militants politiques ou syndicalistes...) n'ait pas à s'adresser, autant que faire se peut, à un inconnu, c'est-à-dire à quelqu'un qui n'appartient pas aux mêmes groupes communautaires que lui. Les inconnus sont par définition suspects.

p. 167

Pour acquérir le français il s'est discipliné et a agi avec ténacité, progressant rapidement en profitant de chaque occasion d'approfondir ses connaissances.
Une réflexion sur le statut et les démarches pédagogiques de la langue seconde sous-tend cet essai. Un texte, qui laisse une large place à sa propre expérience, écrit en français comme pour rendre hommage à ses professeurs, mais aussi pour garder vivante les compétences acquises.
Akira-san semble avoir entrepris ces études pour échapper à un mouvement d'émancipation qui, avec une certaine liberté de parole amenait un désordre qui le dérange – Mizubayashi indique souvent réprouver la saleté dans les facultés –. La découverte du français, plus particulièrement de la langue comme outil de communication, lui permet d'explorer l'impact culturel de la langue.
Alors qu'il fuit un milieu en recherche d'une liberté d'expression, il découvre avec l'apprentissage d'une nouvelle langue tout le potentiel de la littérature grâce à l'étude critique des œuvres. Si « le plaisir éprouvé dans la recherche d'une liberté possible au sein même des limitations prescrites par la langue française est incommensurable » (p. 174), c'est bien parce que des enseignants s'autorisaient à briser le carcan d'un savoir en fournissant à leurs étudiants des outils favorisant une pensée autonome.
En séjournant en France l'auteur ne s'ouvre pas seulement à la langue et à la culture française, mais s'autorise aussi à reconsidérer le système de formation japonais privilégiant essentiellement l'accumulation de connaissances. Par ses références constantes à la littérature et à la musique occidentales, Mizubayashi occulte les spécificités culturelles japonaises auxquelles il doit peut-être sa ténacité et le soutien inconditionnel de son père.

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