Emancipation de la psychanalyse

Laufer Laurie. Vers une psychanalyse émancipée, renouer avec la subversion. La Découverte, 2022.

Les gender studies, en remettant en cause une perception binaire de la société, suscitent davantage de prises de position clivantes que de réflexions constructives. Dans cet essai, la psychanalyste Laurie Laufer souhaite ramener une certaine raison parmi les psychanalystes.

Dans quelle mesure les théories queers et les études de genre peuvent-elles permettre à la psychanalyse de (re)devenir une subculture ?

p. 179


museum Freud wien

Maison de S. Freud, Vienne, Berggasse


En usant de longues citations des fondateurs Freud et Lacan, de Foucault et de ses successeurs, l'autrice cherche à rester au plus près des thèses de chacun et tente d’éviter la polémique. Elle le fait au détriment de la lisibilité. Le caractère subversif des essais sur la théorie de la sexualité de Freud ne fait aucun doute; qu’il en établisse les origines à la petite enfance était en soi choquant. L’autrice postule que la prise en compte du polymorphisme sexuel, explicite dans ces écrits, a été annihilée par la prégnance du modèle binaire opposant féminin et masculin. Selon elle, les praticiens qui se positionnant, au nom de la psychanalyse, contre l’évolution du droit de la famille trahissent les écrits de Freud, voire de Lacan. Sans contester l’impact de ces changements sur la pratique analytique, Laufer appelle à les prendre en compte plutôt que de mettre de l’énergie à constituer un dogme.

Certaines pratiques sexuelles considérées comme « anormales » deviennent à une autre époque « normales », voire « conformes », lorsqu'il s'agit de considérer le développement sexuel d'un enfant dans le cas de la masturbation par exemple, ou de l'anormal homosexuel pervers du XIXe siècle jusqu'aux célébrations conformes de son mariage au XXIe siècle.

p. 126

Les études genre sont le produit d’une globalisation de la pensée, maturation de la French Theory dans les universités états-uniennes. Ce mouvement, quoiqu’on en pense, n’est pas déconnecté d’une réalité sociale qui distingue de plus en plus le monde occidental de régimes autoritaires qui y décèlent une source de déstabilisation en postulant un monde complexe. Une diversité, très éloignée du modèle binaire de sexualité, que décrit Thierry Hocquet, philosophe des sciences.
Dans son exposé controversé de novembre 2019 au Congrès de psychanalystes de l'Ecole de la cause freudienne en France, Paul B. Preciado invitait les psychanalystes à renoncer à assigner les sujets à un sexe basé sur un critère biologique assez flou au vu des connaissances actuelles. Sa propre expression de genre n’est pas assimilable à une coquetterie.

[…] en ce qui me concerne, je n'ai pas connu la liberté alors que j'étais enfant dans l'Espagne de Franco, ni plus tard quand j'étais lesbienne à New York, et je ne la connais pas non plus maintenant que je suis, comme on dit, un homme trans.

Paul B. Preciado, cité p. 226

Ces appels à faire évoluer la psychanalyse en phase avec la société sont ambivalents. Nier la légitimité de femmes et d'hommes à vivre leur identité pour des raisons doctrinales n'est pas acceptable. Pourtant la déferlante acronymique L, G, B, T, Q, I, +, O, C… – clairement politique – tend à réduire les discriminations à la sexualisation des individus et à passer sous silence les réalités sociales qui souffrent dans leur condition et qui ne peuvent accéder au soulagement de l'analyse.

Site de l'éditeur
RTS – tribu : interview de l'autrice
France-culture – La grande table des idées
Les Couilles sur la table (sic) – Juger, conférence de François Lavallière