Le cœur de l'Angleterre

Coe Jonathan. Le cœur de l’Angleterre. Paris, Gallimard, Folio, 2019.

Jonathan Coe fait partie des narrateurs engagés qui dépeignent une réalité sociale britannique avec dérision.
Le titre original, Middle England, polysémique, se réfère tant au sujet, la classe moyenne, qu'au lieu. Birmingham, seconde agglomération britannique moquée pour son supposé provincialisme. Le titre français renvoie au lien affectif à la patrie, un ressort qui a été abondamment utilisé par les partisans du Brexit. Un argument très porteur au cœur de l'Angleterre, le poumon industriel du pays mis à mal par le libéralisme.

Le thème central de ce roman est le Brexit et plus précisément l'ébranlement causé par le referendum de 2016. D'enjeu électoral pour reconduire David Cameron à son poste de Premier ministre, ce vote devient hautement émotionnel et cristallise toutes les frustrations des citoyens britanniques, en particulier des Anglais.

Helena posa ses couverts. « M. Hu, je ne suis jamais allée en Chine et je me garderais bien de traiter à la légère les conditions de vie difficiles qui doivent être les vôtres là-bas. Mais ici, en Grande-Bretagne, nous sommes confrontés au même problème. Au fond, je serais tentée de dire que notre situation est pire. Vous, vous subissez une censure avouée. Chez nous, elle est occulte. Tout se passe sous le masque de la liberté d'expression, de sorte que les tyrans peuvent prétendre que tout va pour le mieux. Or de liberté, nous n'en avons pas, ni d'expression ni d'autre chose. Ceux qui gardaient vivante une magnifique tradition anglaise en pratiquant la chasse à courre ne sont plus libres de le faire. Et si certains d'entre nous tentent de s'en plaindre, leurs voix sont aussitôt couvertes par des hurlements. Nos opinions n'ont plus le droit de s'exprimer à la télévision ni dans les journaux. Notre télévision d'État nous ignore superbement ou nous traite avec mépris. Voter, c'est peine perdue quand tous les politiciens entretiennent les opinions qui flottent dans l'air du temps. Bien sûr j'ai voté M. Cameron, mais sans le moindre enthousiasme. Nous n'avons pas les mêmes valeurs. À vrai dire, il connaît aussi mal notre façon de vivre que ses opposants. Ils sont tous du même côté, finalement. Et ce côté-là, ce n'est pas le nôtre.

p. 307

La presse, mais pas que, s'étant délectée des travers réglementaires européens pour attribuer à l’Union européenne la cause de tous les maux du Royaume-Uni et des modifications de la société, les conditions étaient réunies pour faire de ce scrutin un pari à haut risque. Le piège s'est refermé et l'initiateur qui pensait obtenir les coudées franches après avoir défait les euroseptiques de son parti n'a eu d'autre issue que de démissionner.
La charge affective d'un enjeu touchant à la représentation (collective) de soi était si forte que la fracture de la société s'est répercutée jusque dans les familles. Coe mène avec humour, l'analyse d'une nation qui peine à se reconnaître dans son vécu quotidien. Le manque d'une Angleterre profonde, fédératrice.

La clef de voûte de son système de croyances demeurait qu'à l'époque de son enfance il y avait plus de cohésion, d'unité, de tendance au consensus en Angleterre. Tout s'était petit à petit délité avec le résultat des élections en 1979. Et le plaisir diffus que lui inspiraient les numéros d'humoristes d'alors en était la preuve.

p. 78

Toutefois le choix de caractères très divers (gays, trans, noirs, ressortissants européens et extra européens) bien qu'essentiellement de la classe moyenne surjoue la diversité alors que le ressentiment naît aussi d'une évolution économique ultra-libérale dont les Britanniques, restée en dehors de la zone Euro et de l'espace Schengen, ont souvent été d'ardents promoteurs.

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Lisbeth Koutchoumoff Arman pour Le Temps