Les dames de Kimoto

Kinokawa, Wakayama – Takato Marui, Wikimedia Commons

Ariyoshi Sawako. Les dames de Kimoto. Folio. Mercure de France, 1959 / 2016.

Lorsque la procession nuptiale emmène Hana sur le Ki vers la maison Matani, le Japon vit une période de profondes mutations. Ce mariage qu'elle vit comme un accomplissement appartient déjà au passé.

Même s'il n'y avait pas eu la guerre et si j'avais vécu chichement, il ne serait rien resté pour la génération de Seiichirō. Cette famille que tu as fuie n'est plus qu'un souvenir dans les livres d'histoire. […] Fumio, tu as si souvent répété que tu ne pouvais supporter de voir une femme dépendre si complètement de son mari et de son fils aîné ! Tu as dit aussi que se soumettre était ridicule. Mais je n'ai jamais eu l'impression de me soumettre à eux. Simplement, je me suis donné autant de mal que je pouvais pour eux.

p. 303

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Elevée par sa grand-mère Toyono, elle a été scolarisée à l'école secondaire - une exception, pour une fille - au même titre que son frère afin de lui assurer une alliance convenable.
Richement dotée, vêtue de somptueux kimonos, elle a les qualités requises pour faire honneur à la maison principale des Matani. Les offrandes rituelles aux temples ont été déposées ; les cérémonies préparées dans les moindres détails contribueront au prestige de son mari Keisaku.
Hana a respecté la superstition qui exige qu'on lui choisisse un époux à l'aval. Le Fleuve Ki (Kinokawa, le titre original au roman) symbolise l'évolution du Japon après la Restauration Meiji, lui dont le cours a été aménagé pour répondre aux besoins nouveaux liés à la modernisation du pays.
Ariyoshi-san détaille avec élégance cette transition. Donnant un rôle important aux femmes de la lignée de Toyono, la dame de Kimoto, elle plaide pour une réelle émancipation féminine, portée par les hommes et les femmes. Un changement, comme elle l'écrira plus tard dans Le crépuscule de Shigezo, long à se réaliser.
La carrière politique de Keisaku est soutenue par l'abnégation de Hana. Non seulement elle s'efface pour qu'il brille, mais elle l'encourage également à investir une part de sa dot dans l'irrigation de la plaine du Ki.

– Mère, ne croyez-vous pas que le système matriarcal de la société primitive était plus conforme à la nature ? C'est à la famille de la femme qu'on fait appel en cas de besoin .

p.271

Nés avec le XXe s. leurs enfants sont éduqués dans les préceptes du système féodal qui a encore cours dans les régions rurales. Les études universitaires à Tokyo, du fils et de la fille ainés, leur font cependant découvrir un nouveau modèle sociétal qui rompt avec les critères de la réussite : le manque d'ambition de Seiichiro et de son beau-frère Eiji, salaryman bien positionnés de grandes compagnies, désole le matriarche.
Malgré ses réticences, Hana se plie aux attentes des autres, restant en toute circonstance la dame digne prête à subir les épreuves avec vaillance. Une retenue inconnue de sa fille ainée, Fumio, avec laquelle elle a de fréquentes tensions.
le fleuve Ki, apparemment immuable, évolue tant pour répondre aux besoins économiques que pour assurer la sécurité des populations riveraines. Dans les années amères que vit le Japon après la capitulation, le système féodal disparait et la vie des propriétaires terriens, à l'instar des Matani, est profondément bouleversée.
Lorsqu’il parvient à son embouchure, à Wakayama, le Ki, disparaît dans un décor désormais hérissé des hautes cheminées de la zone industrielle implantée au sud de Osaka. Les dames de Kimoto sont en voie d'émancipation dans un environnement mondialisé : leurs riches kimonos rappellent, lors de rares cérémonials, l’origine d'une certaine modestie féminine.

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