Un garçon comme vous et moi

Jablonka Ivan, Un garçon comme vous et moi. Seuil, La librairie du XXIe siècle, 2021.

C'est dans une recherche historique autobiographique que nous entraine l'auteur. Son parcours singulier de fils d'orphelin de le Shoah est relu avec le filtre des études genre contemporaines. Ce croisement entre un destin collectif et un ressenti intime permet une synthèse de l'évolution sociale en un siècle.

[…] dans les années 1950, on nous garantissait, à nous les garçons, que nous allions forcément rencontrer une guerre en vieillissant. On se construisait avec cette idée de violence et on valorisait l’apprentissage de la bagarre aux poings, même les intellectuels dont j’étais en tant que médecin. Partant, les rôles entre les hommes et les femmes étaient très définis. Depuis les années 1970, la violence a déserté la société occidentale, pour la première fois de son histoire, et la force ne constitue plus un élément de pouvoir, elle a été remplacée par les diplômes obtenus à l’école.

Boris Cyrulnik
Le Temps, 6 mars 2021


Façonné par les idéologies totalitaires qui ébranlèrent l'Europe et le monde au XXe s. ou même par l'économie fordiste, l'essence de l'homme domine alors son individualité. Lorsque Jablonka est enrôlé dans l'armée, il imagine qu'il pourra y faire l'apprentissage d'une mixité sociale qu'il n'a pas connue dans son parcours scolaire. Ses prédispositions l'ont en effet déjà orienté vers un cursus élitaire à la française. Ses antécédents le privent donc des expériences du commun. L'auteur oppose le modèle normatif à sa réalité.

[…] il faut bien conclure à l'extrême stabilité de la culture d'école […]. L'établissement que je fréquentais, installé dans un bâtiment en pierre de taille, avec son drapeau tricolore, son fronton sculpté au-dessus de la façade, sa lourde porte, son grillage à la fenêtre de la loge de concierge, existait à des milliers d'exemplaires dans les villes et villages de France, où il faisait office de temple laïc. C'est encore le cas aujourd'hui. Notre école était « élémentaire » par le socle de ses apprentissages, mais aussi par la puissance de ses normes, qui faisaient d'elle un milieu à la fois sécurisant et autoritaire dès lors qu'on apprenait, avec les règles, à ne pas les enfreindre.

p.60-61

Les approches féministes permettent paradoxalement de dissoudre une représentation monolithique du mâle humain et d'affirmer l'expression de leur sensibilité. C'est par l'examen de sa vie avec les outils des historiens que Jablonka nous fait entrer dans les failles qui donnent relief à l'existence humaine. Les sources qu'il convoque (livret de santé, journal parental, carnet intime, souvenirs de camarades de classe) paraissent cependant dérisoires pour donner une valeur universelle à son propos.


Cette mise à nu qui, dans une forme moins littéraire, rappelle Les années d'Ernaux, montre que la place de l'homme mâle dans la société n'est pas aussi évidente qu'il y paraît. Les privilèges dont il est censé bénéficier ont un coût : taire les émotions. Cette pression sociale favorise les conduites à risque et peut mener à des issues tragiques, telles que vécues par Jablonka avec des proches.
La “molécule [qu'il est]” est composée de divers éléments. Le modèle éducatif qu'il soit familial ou scolaire en est évidemment un. Le premier est influencé par le milieu social et le parcours de vie alors que le second dépend du contexte. Dans chaque pays, il existe des filières assez déterminantes pour la vie future. En quelques mois passés aux Etats-Unis, l'auteur a pu expérimenter des différences qui, comme l'apprentissage de l'écriture manuscrite, impriment l'existence entière.
Jablonka attribue à #MeToo l'envie de reconsidérer son passé par le crible du genre. Cette révision de l'histoire, ici personnelle, s'avère libératrice puisqu'elle apporte une meilleure compréhension des enjeux et des interactions sociales. Cette recherche nous indique que la réalisation des objectifs constitutionnels d'égalité hommes-femmes passe par une distinction plus fine des interactions qu'une dialectique opposant Vénus et Mars.

mon projet : mettre au jour la vérité de nous-mêmes, c'est-à-dire l'ensemble des points de contact entre nos structures personnelles et les structures sociales.

p. 259

Ce récit autobiographique rappelle aussi l'impact du sida sur sa génération. Si cette pandémie-là prônait déjà le besoin de se protéger et de ne pas être vecteur de transmission, sa perception était très différente de celle de Covid-19 : la nature, principalement sexuelle, de la transmission induisait une interprétation moralisatrice de la maladie et conduisait à ostraciser les victimes. Les thèses conspirationnistes autour de la pandémie actuelle, en particulier celles qui lui attribuent une origine divine, rappellent, si besoin est, la face la plus sombre de l'humain, celle de son penchant au manichéisme.

Alexandre Demidoff pour Le Temps

Entretien avec Geneviève Bridel pour QWERTZ–RTS
Entretien avec Julien Magnollay pour Tribu RTS
Entretien avec Olivia Gesbert pour La Grande table – France Culture
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