Un monde de mots

Anne Cuneo, Un monde de mots – John Florio, traducteur, lexicographe, pédagogue, homme de lettres, Campiche, 2011

En choisissant de titrer son roman historique du même nom que le dictionnaire italien-anglais que John Florio a publié en 1611, Anne Cuneo rend hommage à l'amour des mots de ce passeur de culture.

Elle-même italienne exilée en Suisse, elle-même traductrice et sensible à la complémentarité des langues, Anne Cuneo s'intéresse au personnage de Florio qui a consacré sa vie au verbe. Comme dans ses romans Le trajet d'une rivière ou le Maître de Garamond, elle donne une notoriété à quelques hommes d'exceptions. Francis Tregian, Antoine Augereau et John Florio ont ceci de commun de ne pas avoir été des célébrités, mais d'avoir contribué par leur action à faire progresser la culture et le savoir. Ils ont aussi en commun d'avoir dû fuir les persécutions lorsque la religion était une affaire d'état et pas encore un choix individuel. De leurs errances dans l'Europe des XVIe et XVIIe s, ils ont puisé des connaissances dont ils ont fait profité leurs contemporains.
John Florio, naît en Angleterre en 1553. Son père, victime de l'Inquisition, s'y était réfugié. Fidèle à la foi protestante, la famille se retire dans le Val Bregaglia pour échapper à de nouvelles persécutions. Eduqué à Tübingen, puis à Oxford, Florio conserve toute sa vie un attachement à la langue italienne. C'est son approfondissement de celle-ci et sa détermination à en faire connaître les subtilités qui améliorent sa connaissance de l'anglais et lui permettront de publier en 1611 un dictionnaire italien–anglais qui reste la référence jusqu'en 1726.
Traducteur des essais de Montaigne, il favorise également l'intégration d'un vocabulaire d'origine latine dans le lexique anglais.

Il m'a fallu quelques jours pour rendre le texte de telle sorte que l'esprit anglais ne doive pas faire d'effort pour comprendre. […] J'ai souvent constaté.que le plus difficile d'une traduction, ce sont les premiers paragraphes ou les premières phrases: il faut qu'on s'installe dans l'esprit de l'auteur, pour le comprendre, et pour faire en sorte que le lecteur auquel on va rendre intelligible sa voix originale saisisse l'esprit autant que la lettre de son texte.

p. 393

La question de la langue est alors d'actualité puisque le dictionnaire paraît la même année que la première traduction anglaise de la Bible.

Tout ce qui est écrit est traduction. Nous pensons longtemps, retournons des phrases sans fin, mais lorsque finalement nous écrivons, tout l'art, c'est de traduire une idée en peu de mots. Cela peut sembler difficile, impossible parfois. […] pour ce qui est de l'expression succincte, vitale et nerveuse de la pensée, l'anglais soutient la comparaison avec les vulgaires des autres pays.

p. 129

Par ses digressions, parfois trop nombreuses, l'auteure donne de l'épaisseur à son personnage et permet d'aborder divers éléments de la vie pendant l'ère élisabéthaine, considérée comme l'apogée de la Renaissance anglaise. Elle fait notamment de nombreuses allusions à l'éducation et aux châtiments corporels qui sont la norme, à l'institution du mariage dans lequel la fidélité joue un rôle très relatif ou aux intrigues de la cour.

site de l'éditeur
présentation de l'ouvrage par Anne Cuneo (cuk.ch)