Americanah

Americanah, Chimamanda Ngozi Adichie, traduit de l'anglais (Nigeria) par Anne Darnour, Gallimard 2014

Ifemelu quitte Lagos pour étudier à Philadelphie, réalisant ainsi l’objectif de nombreux amis nigérians. La réalité prend vite le pas sur la situation rêvée, même si elle peut compter sur la présence de Tante Uju pour apprivoiser les codes de l’Amérique.
Malgré leurs succès, Tante Uju et Ifemelu doivent se faire une place dans la société.

Le repli identitaire, dans le salon de coiffure, est frustrant et ne correspond pas à leurs aspirations. L’Amérique, pour elles, qui ont fui la dictature militaire de Lagos, n’est pas le pays de tous les possibles. Tante Uju, malgré son diplôme de médecine, doit se contenter d’un emploi dans une ville retirée.
Ifemelu, ne peut se taire et se fait connaître par un blog impertinent Raceteenth. Cet artifice permet à l’auteure d’aborder la question de l’intégration. Il lui donne surtout la possibilité d’analyser la question de l’identité, en particulier celle du migrant. “Leur pays était maintenant un endroit, indistinct entre ici et là-bas et, sur le Net au moins ils pouvaient ignorer à quel point ils étaient devenus insignifiants.” (p. 178)
L’ami d’Ifemelu n’a pas la chance de traverser l’Atlantique. Il échoue à Londres et expérimente d’autres aspects de la migration. Alors que provenir du Nigeria, ancienne colonie, devrait l’aider à trouver une place dans la société britannique, il découvre un monde du chacun pour soi où chacun essaie de sauver son statut au détriment de l’autre, fût-il son ancien ami.
Chimamanda Ngozi Adichi donne beaucoup de place à la question du racisme aux Etats-Unis. Ifemelu y découvre la couleur de sa peau. Comme Africaine, elle a l’impression de diluer son identité pour se conformer à un modèle. Elle note que Tante Uju prend trop souvent “l'accent traînant et nasal qu'elle affectait quand elle parlait à des Américains blancs, en la présence d'Américains blancs, à portée de voix d’Américains blancs. Et avec cet accent se révélait une nouvelle personnalité, prête à s'excuser et à se rabaisser.” (p. 167)

Cher Noir non américain, quand tu fais le choix de venir en Amérique, tu deviens noir. Cesse de discuter. Cesse de dire je suis jamaïcain ou je suis ghanéen. L’Amérique s'en fiche. Quelle importance si tu n'es pas «noir» chez toi ? Tu es en Amérique à présent. Nous avons tous nos moments d’initiation dans la Société des anciens nègres, […] Et avoue-le – tu dis «Je ne suis pas noir » uniquement parce que tu sais que le Noir se trouve tout en bas de l’échelle des races en Amérique, Et c’est ce que tu refuses. Ne le nie pas. Et si être noir te donnait tous les privilèges des Blancs ? Dirais-tu tu encore: « Ne me traitez pas de Noir, je suis originaire de Trinidad » ? Je ne le crois pas.

p. 330

Alors que son roman paraît sous la Présidence Obama, l’auteure doit confronter sa position sur l’existence d’un racisme anti-Noir à la présence d’un Noir à la Maison-Blanche. Pour se faire, elle retient notamment les propos du révérend Wright, le pasteur de la famille Obama, qui faillit, par ses critiques de l’Amérique, empêcher le sénateur de l’Illinois d’accéder à l’investiture. Alors que Chimamanda Ngozi Adichie affirme que le racisme est avant tout dirigé contre les Noirs américains (formerly known as Negroes, dit-elle), elle parle de Barack Obama comme du Nègre magique, “l’homme noir qui est constamment sage et bon. Qui ne réagit jamais malgré de grandes souffrances, ne se met jamais en colère, ne profère jamais de menaces.” (p.473)
Malgré son indépendance, Ifemelu doit lutter pour acquérir les codes sociaux. À l’Université, elle côtoie des “étudiants, tous confortablement affalés sur leurs sièges, tous débordants de savoir, non sur le sujet du cours, mais sur la façon de se comporter durant le cours.” (p. 203) Cette posture, Ifemelu n’est pas prête à l’assumer; elle veut retourner au Nigeria. Cette insoumission n’est pas comprise par ses compatriotes qui se sacrifient pour rester aux Etats-Unis. “Ifemelu eut soudain envie, désespérément, d'appartenir à un pays qui donnait et non à un pays qui recevait, de faire partie de ceux qui possédaient et de baigner dans le bonheur d'avoir donné, de se compter parmi ceux qui pouvaient faire étalage de pitié et d'empathie généreuses.” (p.257)
De retour à Lagos, elle doit cependant constater que son expérience l’a transformée et qu’elle n’est plus identique à celle qui avait quitté le Nigeria. Elle crée alors un blog The Small Rédemptions of Lagos...

La polémique des « shithole countries » soulevée par les propos contestés du Président Trump renvoie au racisme latent et à la méconnaissance de la réalité sociologique des migrants. Le “Why are we having all these people from shithole countries come here?” ( Washington Post du 11.0.2018) montre que l'Autre reste vu de manière indifférenciée. Si, comme le laisse entendre Adichie, le racisme est avant tout dirigé contre les Noirs américains, ce sont tous les Noirs qui sont concernés. Valérie de Graffenried relève que le niveau d'instruction des immigrants africains est en moyenne supérieur à celui des Américains ( Le Temps du 16.01.2018). Les différences culturelles, que l'écrivaine souligne dans son livre, ne sont cependant pas insignifiantes et il est probable que ce potentiel ne peut pas directement être mis au profit de l'économie américaine.

Site de l’auteure
Site consacré à l’auteure à l'Université de Liège
Grande Interview du Temps (28.04.2018 – Sahli Khadidja