Le choc des civilisations : une voie erronée

Todorov, Tzvetan. (2008). La peur des barbares. Au-delà du choc des civilisations. Paris: Robert Laffont.

L’historien et essayiste d’origine bulgare Tzvetan Todorov ne se satisfait pas de la thèse de Huntington qui incite les Américains et les Occidentaux à réaffirmer avec force leur appartenance à une civilisation particulièrement menacée par la Chine et l’Islam depuis l’effondrement de l’URSS.
Dans une perspective historique, il se réfère aux notions de barbarie et de civilisation au cours des siècles et à la séparation que les Grecs faisaient entre « nous », les Grecs, et « les autres », les barbares qui ne maîtrisent pas notre langue, les étrangers. Le barbare offense les interdits sociaux grecs et il n’a pas la même notion de la pudeur.
Couverture de la Peur des barbares
Todorov préfère une lecture plus nuancée du monde, empruntant à Dominique Moïsi sa géopolitique basée sur les émotions. Dans cette géographie, les « pays du ressentiment », victimes d’une humiliation réelle ou imaginaire, s’opposent aux « pays de la peur » (l’Occident qui a dominé le monde ces derniers siècles). Peur des attaques terroristes et des explosions de violence provoquées par les « pays du ressentiment » et crainte de la force économique et de la capacité de production des « pays de l’appétit » (japon, Chine, Inde, Brésil,…). Cette typologie a l’avantage de nuancer notre vision du monde et de permettre une lecture plus dynamique des interactions liées à la mondialisation.

Quand l'inhumanité de l'un est supprimée au prix de la déshumanisation de l'autre, le jeu n'en vaut plus la chandelle. Si pour vaincre l'ennemi on imite ses actes les plus hideux, c'est encore la barbarie qui gagne.

Tsvetan Todorov

Todorov analyse trois événements récents qui ont provoqué des tensions entre l’Occident et le monde islamique : la guère contre le terrorisme, les caricatures contre Mahomet et le discours de Benoît XVI à Ratisbonne. Bien différents par leur importance, ces trois moments ont été instrumentalisés, de part et d’autre, pour inciter au conflit.
L’auteur prétend, en prenant l’exemple de l’Union Européenne, que seule une volonté clairement affirmée permet de tenir la barbarie à distance. Les gestes de bonne volonté de Français et d’Allemands ont permis une compréhension réciproque de l’histoire de ces nations, préalable à l’élaboration d’un projet commun, inscrit dans l’avenir. Il suppose l’adhésion à un certain nombre de principes et de normes, fondatrices des solidarités qui permettent la constitution d’Etats. À côté de cette citoyenneté, subsistent de multiples appartenances qui créent les communautés d’intérêt susceptibles de réunir des hommes dans leur diversité. L’existence de ces cultures dément le caractère inévitable d’un affrontement entre civilisations. Todorov conclut en sollicitant davantage de compréhension entre sociétés.

Présentation du livre de Dominique Moïsi, La géopolitique de l'émotion (Rue 89)