Les musulmans au défi de Daech
Dans ce petit ouvrage Mahmoud Hussein précise en quoi le projet de Daech met les musulmans dans une situation délicate et les oblige à se distancier des positions traditionalistes dans lequel l'Islam s'est figé.
Reprenant leurs postulats énoncés dans Penser le Coran, ils insistent sur la nécessité pour l'Islam de dépasser un discours qui enferme le musulman dans des divergences tues.
Le duo situe le phénomène Daech dans un contexte politique en rappelant l'opposition entre un camp moderniste dans lequel l'identité nationale tend à se substituer à l'identité religieuse (l'Égypte de Nasser, la Syrie et l'Irak du parti Baas,…) et un camp traditionaliste et panislamiste (l'Arabie Saoudite wahhabiste). Les dirigeants nationalistes ont créé des états autoritaires dont se distancient de plus en plus d'habitants… et les traditionalistes se saisissent de cet échec en l'expliquant par l'éloignement des dirigeants avec l'islam.
La Révolution islamiste en Iran, chiite et anti-américaine, renforce le discours ultraconservateur et proaméricain des Saoudiens. Ce renfort acharné des courants sunnites est à l'origine de la prolifération du salafisme. Daech a des visées conquérantes qui le rendent beaucoup plus dangereux aux yeux d'États qui s'accommodent pourtant des pratiques d'un autre âge de l'Arabie saoudite et traitent commercialement avec elle.Les États-Unis auront activement contribué à cette faillite. Ils auront, dès les années quarante, systématiquement couvé, soutenu, et protégé l'islam wahhabite, littéraliste et rétrograde de l'Arabie saoudite, contre l'expérience des nationalismes séculiers et modernistes.
p. 18
Daech prétend agir au nom de l'islam et considère tous les musulmans qui s'opposent à lui comme des croyants perdus. La seule issue pour ces opposants est donc de présenter un islam humaniste pour notre temps. Pour contrer Daech et son utilisation “systématiquement tendancieuse des références coraniques et prophétiques, à donner de l'islam un visage antihumaniste, apocalyptique et terrorisant”, les musulmans devraient oser remettre “en cause le dogme de l'imprescriptibilité coranique“.L'immense majorité des citoyens du monde, musulmans aussi bien que non-musulmans, tient le projet de Daech pour ce qu'il est : une déclaration de guerre au système des valeurs fondant l'humanisme moderne. Et le condamne pour cela sans appel.
p. 25
Les Mahmoud Hussein, et c'est en cela qu'ils reprennent les lignes-forces de leur Penser le Coran, insistent : l'imprescriptibilité du Coran est la conséquence historique de l'affrontement entre rationalistes et traditionalistes à l'apogée de l'islam au IXe s. Ils détaillent rationnellement en quoi ce dogme est contraire à la vérité première du Coran, notamment en s'appuyant sur le verset 106 de la deuxième sourate Dès que nous abrogeons un verset, ou que nous l'effaçons des mémoires nous apportons un autre, meilleur ou analogue qui suppose une dimension temporelle niée par les traditionalistes.Ce dogme repose sur un raisonnement à première vue imparable : le Coran étant la Parole de Dieu, tous ses versets ne peuvent avoir qu'une valeur absolue et éternelle. Le croyant est alors confronté au syllogisme suivant : est musulman celui qui croit que le Coran est la Parole de Dieu; celui qui doute de la validité absolue de tous ses versets doute, nécessairement, du credo selon lequel le Coran est la Parole de Dieu; il n'est donc plus musulman.
p. 49-50
Mahmoud Hussein ne taisent pas les difficultés engendrées par le dogme de la nature incréée du Coran et le malaise subi par nombre de musulmans qui pensent transgresser le Coran pour simplement vivre au XXIe s. Cet écart encourage aussi un relativisme malsain. Aux musulmans de résoudre ce problème et aux non-musulmans de leur laisser l'espace pour le faire.
critique d'Emmanuel Gehrig
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