Où va l'Iran ?

Où va l'Iran ? Regards croisés sur le régime et ses jeux d'influence, Éd. sous la direction de : François Colcombet, Autrement 2017

Mieux vaut lire ces regards croisés sur la République islamique d’Iran après avoir visité le pays... Le portrait de cette théocratie est inquiétant : une clique qui n’hésite pas à sacrifier ses citoyens pour préserver le pouvoir. Un régime qui souffle le chaud (tiède en l’occurrence) et le froid pour garder un bien faible crédit sur le plan international.

Mais pour qui a suivi avec attention l'histoire de la République islamique d'Iran, un autre constat peut être fait: les institutions islamiques sont l'habillage d'un véritable État totalitaire contrôlé par un petit groupe de religieux chiites et de leurs collaborateurs. Dans d'autres contextes, l'islam a montré qu'il pouvait être conciliable avec la démocratie. Ici il n'en est rien.
On aurait pu supposer qu'après la période violente de la Révolution le régime se serait humanisé. Or on ne constate aucune évolution en matière de droits d l'homme. Les exécutions capitales de mineurs, les inégalités assumées de traitement entre les hommes et les femmes, la violation des libertés publiques sont toujours les mêmes.

François Colcombet, p. 30

Quelques contributions sont peu intéressantes : le détail des preuves de la mauvaise coopération des autorités au contrôle de la conformité de l’accord JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action – plan d’action conjoint) sur le nucléaire iranien est indigeste.
D’autres manquent parfois de nuances comme l’opinion de Walid Phares qui fut conseiller de Donald Trump en matière de politique étrangère pendant sa campagne électorale. Les faits historiques mis en avant par l’auteur ne sont pas dénués d’intérêt. S’il ne remonte qu’à l'époque du Shah, Phares ne nie pas que le régime monarchique instauré par ce dernier était contesté par de larges pans de la société iranienne. Il explique que si la Révolution était attendue, le régime khomeiniste l’a rapidement confisquée au profit du fondamentalisme religieux. Il compare le régime des mollahs à l’Etat islamique; l’un représente un extrémisme chiite alors que l’autre est son pendant sunnite.
Phares utilise un vocabulaire provocateur. Certes le pouvoir iranien fait régner la terreur et la qualification d’autoritaire n’est pas abusive. Les habitants sont maintenus dans l’incertitude, ne sachant pas quel faux pas on va leur reprocher aujourd’hui. En abusant des références au bolchevisme ou au national-socialisme et en critiquant toutes les initiatives des Démocrates en Iran, il rend son analyse partiale. Walid Phares , né en 1957 au Liban y vécut jusqu’en 1990. Son expérience de la Guerre, dans une famille maronite, explique ces prises de position émotionnelles qui décrédibilisent une analyse bien étayée. Il relève notamment que l’expansion du régime chiite au Moyen-Orient est liée à la dictature des el-Assad en Syrie. Le régime de Téhéran a saisi cette opportunité de sortir de son isolement. Ce positionnement sur l’échiquier international est aussi une puissante arme pour maintenir une cohésion nationale, comme le conflit avec l’Irak qui a été utilisé pour affermir le régime. Comme d’autres contributeurs, il omet de faire la différence entre les habitants d’une part et le régime et ses bras armés (notamment les pasdarans et bassidjis) d’autre part. Les Iraniens paient le prix fort de cette dictature haïssable. Le «Je vous écris de Téhéran» de Delphine Minoui exprime certainement mieux le ressenti de la population.
L’analyse des mécanismes du pouvoir du Guide suprême, conforté par des organes de contrôle alibis (conseil des gardiens, conseil de discernement, etc) qui lui sont entièrement dévoués et de multiples polices qui corsètent les Iraniens dans leur vie quotidienne montre l’existence d’un état totalitaire.

Au quotidien, les bassidjis sont censés assurer la promotion de la vertu et la prohibition du vice, autant de formules creuses caractéristiques de la police des moeurs. Ce qui revient à dire que les jeunes gens qui s enrôlent dans le Bassidj de leur quartier y font la loi en prétendant être la loi. Dans un pays où règne la misère, et où le pouvoir affiche son mépris de la dignité humaine, ils deviennent des caïds de quartier auxquels Khamenei accorde des droits étendus, allant de celui d'entrer dans tout local suspect, y compris d'habitation, aux inspections et aux arrestations, en passant par le contrôle des vols nationaux et internationaux.

Yves Bonnet, p.85

Quelques auteurs amènent des éléments qui nuancent ce sombre tableau : la persistance d’une riche culture ancienne et une formation généralisée et de bonne qualité font que les Iraniens montrent un vif intérêt pour la culture contemporaine, notamment par le cinéma. Les femmes, dont le statut s’est dégradé sous le régime des mollahs, ont toujours un accès à l’enseignement et, dans certaines conditions, au monde professionnel. Ces quelques lueurs rappellent qu'en 39 ans, la République islamique n’a pas réussi à effacer des progrès sociaux du début du 20e s.

Notons que depuis trente-huit ans, la « République » à l'idéologie khomeyniste qui est en réalité une théocratie, a toujours montré deux visages en direction du monde occidental. L'image d'une faction dite « modérée », « réformiste », en butte à une faction dure ou ultraconservatrice, relève d'une analyse erronée, qui ignore délibérément ou par erreur la nature de la création de Khomeiny dans son ensemble. Car les factions dites « modérées » ou même « pragmatiques » sont elles aussi forcément soumises aux lois « divines » que le clergé est chargé d’interpréter, sous la tutelle absolue du Guide suprême religieux, quel que soit le résultat du « vote populaire ».

Simin Nouri, p. 192

Le Temps - En Iran, la colère contre l'austérité vire à la crise politique (03.01.2018)