Lointain souvenir de la peau

Banks Russell (2013). Lointain souvenir de la peau. Arles: Babel.
Lost Memory of Skin (2011) traduit de l'anglais (États-Unis) par Pierre Furlan

Pas très inspiré le jeune Trey quand il a répondu à sa copine par un «sexto» montrant son sexe en érection. Plainte déposée, voilà Trey, 17 ans, accusé de produire du matériel de pornographie infantile.
Il a comme perspective de se retrouver en prison puis de figurer, à vie, sur le fichier des délinquants sexuels (National Sex Offender Public Website). Ce fait divers a cependant connu un important écho médiatique car la Police de Manassas, VA et le procureur du Comté Prince William avaient prévu d'administrer un médicament à Trey afin de le filmer en érection pour soutenir l’acte d’accusation... (voir le Washington Post - développement au 1er août 2014)

[Abbott] avait l'habitude de dire que la vie privée des gens devait rester privée. C'est pour ça que ça s'appelle vie privée. Evidemment c'était avant Internet.

Pasted Graphic
Pas très futé Kid, le personnage principal du dernier roman de Russell Banks, Lointain souvenir de la peau, quand il a eu une histoire de sexe sur Internet. Il a été incarcéré. Libéré après quelques mois, il subit une période probatoire dans une zone d'exclusion qui le prive d'une vie normale. Son bracelet électronique indique chacune de ses allées et venues.
Internet a été l'espace de liberté de son adolescence, mais depuis qu'il a 21 ans et qu'il est répertorié comme délinquant sexuel, ce réseau le contraint à la marginalité et à la précarité. Il s'abrite plutôt qu'il ne vit sous un viaduc en périphérie de Calusa. Lui et ses semblables sont sans cesse contraints par la police de trouver d’autres lieux où installer tente ou baraque.
Le brillant universitaire, éminence de la sociologie, qui s'intéresse à la situation de ces relégués utilise l'Internet pour attester de ses mérites. La vie du Kid et celle du Professeur ne sont-elles que les deux faces de la même pièce technologique ? L’existence de Kid est mise à nu sur le réseau, mais celle de l'homme de science est peut-être moins lisse que celle visible sur les réseaux.

Comment est-ce possible ? Elle a toujours cru que la nature humaine était permanente, impossible à modifier, que les êtres humains étaient toujours et partout les mêmes, pour le meilleur et pour le pire, et que, quand la situation s'améliorait, ce qui s'est parfois produit, par exemple pour les Noirs et pour les femmes, c'était parce que les gens, y compris les Blancs et les hommes, étaient essentiellement bons et que le bon côté de leur nature leur permettait de reconnaître leur parenté avec les Noirs et avec les femmes.

Le roman de Banks interroge l'hypocrisie d'une société hypermédiatisée qui loin de n'offrir que de nouvelles libertés bannit ses membres qui n'en maîtrisent pas les codes. Trey et Kid n'étaient pas très malins; ils se sont laissés entraîner dans un dialogue qui s’est refermé sur eux comme un piège. Si l’auteur affirme que la société a scellé le sort de Kid, ne suggère-t’il pas qu’il manque au Professeur le brin d'humanité qui lui permette de vivre vraiment… ?

[Le Kid] ne sait que ce qui lui est arrivé durant son propre récit de vingt-deux ans. Et de cela même, il n'est conscient que de bribes pour la plupart sans lien entre elles et n'a donc pas une compréhension globale de la courbe que dessine sa vie. Mais tandis qu'il dort dans ce paradis sous les étoiles et la lune, à bord de son houseboat, au cœur du Grand Marais de Panzacola, avec sa vieille chienne jaune étendue sur le pont à côté de lui et son compagnon le perroquet près de la chienne dans une cage recouverte d'un linge, il rêve des images et des sons qui entrent dans la lente construction de son paradis.


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