Le modèle noir de Géricault à Matisse

Le modèle noir de Géricault à Matisse - Musée d'OrsayEtude Joseph

Théodore Chassériau, Etude d'après Joseph
Illustrations de l'audioguide

L'altérité est représentée de manière marginale, dans la peinture. C'est peut-être une des raisons qui fait que le public des musées soit si «blanc» et pas seulement grisonnant…
Il en va autrement pour l'exposition “Le modèle noir, de Géricault à Matisse” qui ne laisse pas indifférente une population qui reste habituellement hors des expositions.


Les études genre rendent sensibles à l'avantage que constitue la masculinité dans l'espace public. Cette approche, par le biais du sexe, permet d'aborder la question taboue de la race et de l'Altérité de manière plus ouverte. Une posture sociologique invite à se décentrer et à considérer l'avantage de la “blanchité”, de peau claire, dans la vie quotidienne. Le podcast de Rokhaya Diallo et Grace Ly est un vecteur de cette affirmation de soi, en tant qu'individu au-delà de son aspect extérieur.
Les cartels de l'exposition sont révélateurs de l'évolution du vocabulaire et de la perpétuation du racisme, pas forcément intentionnelle. Ce changement de langage n'est pas dénué d'ambiguïté. La première œuvre, de Marie-Guillemine Benoist (1768-1826) présentée au Salon de 1800 sous le titre Portrait d'une négresse, est intitulée aujourd'hui Portrait d'une femme noire. Lilian Thuram, commentant cette peinture relève «Ce qui est très incroyable, c’est que je pense que la majorité des gens pense que c’est une avancée, alors que c’est juste confirmer le fait qu’elle soit vue comme une négresse. […] Et on voit que les mentalités n’ont pas évolué, c’est-à-dire que l’on va faire des catégories selon la couleur de peau ; vous êtes encore enfermés dans votre couleur de peau.» Quelques hommes et femmes servaient de modèles pour les académies et les artistes. Les “agences” qui les employaient tenant des registres, ce portrait est probablement celui de Madeleine, titre qui pourrait être dorénavant retenu.
Cette anecdote est révélatrice de la place du "modèle noir" dans la peinture occidentale : sujet, voire objet, anonyme, représenté en opposition à l'Autre, sauvage.
Biard_Abolition_de_l_esclavage_1849L'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises de François-Auguste Biard (wikimedia), construit , selon Lilian Thuram, une mythologie d'une “généreuse France [qui] abolit l’esclavage. Et les personnes noires doivent remercier la généreuse France.” Par cette construction de l'Histoire, les gens qui ont souffert se montrent reconnaissants, de leur nouveau statut. Ils devraient effacer les siècles d'esclavage et de souffrance. Cette violence, ce déni de responsabilité, est toujours vécue de manière intense par les populations descendant de peuples asservis.
Verdier quatre piquets
De Marcel Antoine Verdier (1817-1856), Le châtiment des quatre piquets dans les colonies a été refusé au Salon du Louvre en 1843. Cette peinture montre la réalité de l'exploitation des corps dans le système esclavagiste. Mais Lilian Thuram y observe “Cette femme blanche, aussi avec son enfant, est là. Tout est normal. Il y a même la jeune femme noire qui rassure l’enfant, en lui disant ‘tu sais, il ne faut pas que tu aies peur, parce-que ce qu’il se passe là, c’est normal… Tu dois t’éduquer à ça, tu dois comprendre que ce qu’il se passe là, c’est normal… Violenter le corps noir, c’est normal… Et dans le futur, tu devras faire comme ça aussi, pour que le système reste en place…"

Quel acharnement ils mettent à définir l'esclave comme inhumain, sauvage, quand la définition de l'inhumain décrit en vérité très largement celui qui punit. Quand ils se reposent, épuisés, entre deux volées de coups de fouet, le châtiment est plus sadique que correctif. Si l'usage continu du fouet fatigue celui ou celle qui fustige, et qu'il ou elle doit observer toute une série de pauses avant de poursuivre, quel bien la durée des coups fait-elle à la personne fustigée ? Une douleur aussi extrême semble être conçue pour le plaisir de celui qui manie le fouet.

Toni Morrison
L'origine des autres – p. 34



Site du Musée d'Orsay
Intervention de Rokhaya Diallo sur la RTS
Joseph, le plus célèbre des modèles noirs du XIXe siècle France Culture
Le modèle noir : une affaire de représentation – France Culture