La pensée blanche

Thuram Lilian, La pensée blanche. Philippe Rey, 2020.

De son passé de footballeur Lilian Thuram a conservé une notoriété qui l'expose. Sa carrière sportive dans l'équipe dite Black, Blanc, Beurs, victorieuse aux Championnats du monde 1998, une qualification utilisée pour défendre une image de la France multiethnique tranche avec la nécessité de son engagement antiraciste. Par le biais d'une Fondation à son nom, le footballeur est un ardent militant de l'égalité des chances.
Comme de nombreux Français ultramarins, Thuram a découvert sa couleur de peau en arrivant en métropole. Cette prise de conscience, pour lui à 9 ans, a été douloureuse. Les témoignages des Français des territoires d'outremer qui découvrent la métropole convergent : leur couleur de peau en fait des étrangers. À l'inconfort d'un environnement peu familier s'ajoute le sentiment d'être considéré comme de citoyens de seconde zone.

Cette idée commune et perverse de Jules Ferry nous colonisons, par devoir, des peuples qui devraient nous en remercier fait consensus. Elle est enseignée dès l'enfance [...]

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Pour Lilian Thuram, c'est une évidence d'utiliser sa célébrité pour promouvoir une cause qu’il compare à celle des femmes. Les droits, qu'elles ont obtenus, c'est en les conquérant ; il luttera. Ce combat toutefois s'avère ardu : sous le projecteur des médias, ses écarts passés et présents sont scrutés pour lui être reprochés. Il exercerait un racisme anti-Blancs en abusant de sa notoriété et des avantages qu'elle lui a procurés.

Le châtiment des quatre piquets – Tableau de Marcel Verdier, 1843wikimedia commons

Marce Verdier le_chatiment_des_4_piquets
Dans son essai, Thuram. détaille les causes historiques qui ont conduit aux inégalités socio-économiques dont souffrent les non-Blancs. Il est irréfutable qu’ils subissent des discriminations et qu'ils sont perçus comme a-normaux. Il est tout aussi évident que les Blancs bénéficient de privilèges dont ils ne peuvent pas éprouver entièrement l'étendue. Cette situation est le fruit d'un développement basé sur des concepts établis en Europe et qui ont accompagné les Européens dans leur conquête du monde. Les conditions économiques qu'ils ont imposées à leur avantage ont assuré la perpétuation des inégalités.

À la question les Blancs sont-ils au courant de ce que les non-Blancs vivent ? » il me semble qu'il faut répondre «oui», même si je ne crois pas que les Blancs puissent mesurer le poids de ce que c'est qu'être non-Blanc. Les Blancs, au plus profond d'eux, connaissent la réalité, mais ils ne vont pas assez loin dans le raisonnement pour réellement saisir ce que cela signifie d'être traité comme un non-Blanc.

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Aujourd'hui, l'épuisement de la planète, essentiellement dû au mode de vie occidental, prolonge le débat sur la légitimité des Blancs à administrer la Terre. L'échec de l'égalité de traitement de tous les humains ne discrédite pourtant pas, à mon sens, la promotion de valeurs universelles : démocratie, respect de l'environnement notamment.
Dans son essai, Thuram panache sources universitaires, opinions parues dans diverses revues et expériences personnelles. En utilisant «la pensée blanche» comme sujet de certaines assertions, il donne l'impression d'un projet délibéré de nuisance. Comme il le mentionne toutefois, c'est premièrement l'accaparement des richesses qui était visé par l’expansionnisme européen et non le déni de légitimité des “indigènes”. Les conséquences sociales, certes non négligeables, certes perpétuées sans raison, sont plutôt des effets secondaires que l’on a essayé maladroitement de justifier moralement a posteriori. Thuram note que dans l'histoire des hommes et des femmes se sont opposés au colonialisme, au nom de la dignité de tout humain, mais que Bartolomé de Las Casas et Georges Clemenceau notamment n'ont pas été entendus.
Cette forme accusatrice renforce la réputation de Thuram d'être un donneur de leçons. Elle répond peut être à la blessure profonde ressentie que seul un non-Blanc peut éprouver. D'autant moins que la ségrégation des couches populaires vise à diviser les précarisés pour éviter leur rébellion. Le Noir devient alors bouc-émissaire... surtout s'il a l'outrecuidance de s'exprimer publiquement.

Site de l'éditeur
Fondation Lilian Thuram – éducation contre le racisme
Kiffe ta race – Rokhaya Diallo et Grace Ly reçoivent l'auteur