Derrière les cases de la mission

Derrière les cases de la mission
L’entreprise missionnaire suisse romande en Afrique australe (1870-1975)
mcah – Musée cantonal d'archéologie et d'histoire – Lausanne

L'attribution des archives du Département missionnaire au Musée cantonal d'archéologie et d'histoire de Lausanne est l'occasion d'une exposition distanciée sur l'effort missionnaire romand. Si elle s'intéresse essentiellement à l'histoire de 1875 à 1925, elle interroge forcément sur notre regard sur l'autre aujourd'hui.
En complément à l'exposition, un espace intitulé La fin de l’innocence questionne particulièrement la notion d'altérité aujourd'hui.
Matthieu Jaccard, son concepteur, est un présentateur enthousiaste de l'ensemble de l'exposition à l'Espace Artaud.


Comme dans de nombreuses familles protestantes liées aux milieux libristes (dhs), un objet de l'époque missionnaire suscitait son étonnement : ici, une figurine de Noir agenouillé. Elle renvoyait immédiatement à l'Etranger au village de Baldwin dans lequel l'auteur indique sa surprise d'assister à une récolte de fonds pour (r)acheter l'âme des Noirs par une éducation chrétienne. Ce texte, réédité dans les Chroniques d'un enfant du pays, fait suite à son séjour à Loèche-les-Bains en 1953. Il y relevait combien le contexte social influence le regard.
Cécile N’Duhirahe, artiste, a détourné cette "crousille” en la masquant partiellement par un sous-verre recouvert de boue. Cet artifice, comme ses divers travaux, met en évidence les filtres qui agissent dans notre perception de la réalité... Un travail qu'elle mène avec ses deux sœurs dans le Collectif and then… en partageant leur identité métisse par l'expression artistique.
Mondane Eduardo

L'intention de cette exposition, selon Lionel Pernet, le directeur du mcah, est de montrer les conséquences paradoxales sur la collectivité d'une démarche individuelle bien intentionnée.
Dans le canton de Vaud, les autorités politiques interdirent à l'Eglise "nationale" de porter un effort missionnaire à l'étranger. Cette décision a été un motif important de la dissension à l'origine de l'Eglise libre. Cette dernière a donc assumé son existence propre. Elle a aussi vécu l'engagement missionnaire, notamment en Afrique, comme un élan spirituel.
Pour soutenir cette mission, diverses actions étaient menées pour stimuler les dons… qui ressemblent aux collectes de fonds des ONG caritatives. On ne peut que s'interroger sur la production d'objets dans ce but, comme celle de paillassons sans intérêts pour la vie africaine jadis.
L'œuvre civilisatrice est considérée aujourd'hui de manière très critique. Elle est cependant à mettre en relation avec les valeurs normatives du début du XXe s. qui étaient également en vigueur en Suisse. Dans les missions l'éducation était calquée sur le modèle vaudois. La leçon de gymnastique en est la caricature. Alors même que l'aisance corporelle, le sens du rythme des cultures africaines sont reconnus, on fait subir aux corps les mêmes exercices, dans une visée hygiéniste et militaire, dans les écoles missionnaires et en Suisse.
Cette époque se caractérise par le besoin de classer et de sérier le monde. Les missionnaires suisses ne font pas exception : Henri-Alexandre Junod (dhs) passionné par le monde des papillons participe donc à l'effort d'ordonnancement du monde en collectionnant les lépidoptères. Si cette partie de son activité lui est reprochée, c'est qu'elle le détourne de sa mission spirituelle.
Cette période est évidemment très ethnocentrée. L'Afrique australe n'est pourtant pas une terre vierge, à découvrir : les Indiens et les Arabes ont depuis longtemps des échanges avec elle. Pour donner sens à leur mission certains seront toutefois tentés par un ensauvagement des autochtones.
Dans son souci de civiliser ce monde-là, les envoyés cherchent à transmettre sous forme écrite la parole divine, conformément à leur essence protestante. Celle entreprise suppose de codifier la langue dans le but de traduire la Bible et de la diffuser. Permettre l'accès à l'Ecriture, est un moyen de s'affranchir des transmetteurs de la Parole. Les plus critiques des “indigènes” ne manqueront pas de soulever les contradictions intrinsèques au système missionnaire.
Une partie de l'exposition s'intéresse précisément à une figure de l'indépendance du Mozambique, Eduardo Mondlane (> Dictionnaire biographique des Chrétiens d'Afrique) Les Suisses soutinrent son éducation en finançant ses études aux Etats-Unis. Mais, ironie, il devint marxiste à une époque où la division du monde créait un état de guerre froide…

L'exposition met en évidence les paradoxes de l'histoire coloniale dont les acteurs, au nom du bien, provoquèrent des déséquilibres dont les conséquences sont encore sensibles aujourd'hui. La vulnérabilité aux maladies européennes ou les ravages de l'alcoolisme étaient considérés comme des preuves de la moindre adaptation des autochtones au progrès. Ils justifiaient une modification du cadre de vie et du modèle de santé (vu comme satanique). Parallèlement, il y avait une tendance à naturaliser l'autochtone pour le protéger des méfaits de l'industrialisation.
L'analyse de cette tension entre les gestes personnels et le mission normative est une invitation à reconsidérer notre responsabilité sociale au regard du monde.

Site de l'exposition
Bulletin de DM-échange et mission consacré à cette présentation
La fin de l'innocence - Matthieu Jaccard
Sur le site de la RTS - Tribu