Grandir entre adolescents

Claire Balleys, Grandir entre adolescents. À l'école et sur Internet, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, coll. « Le savoir suisse », 2015, 140 p

Inspiré de sa thèse de doctorat en sociologie, cet essai de Claire Balleys présente les modes de socialisation des adolescents.

Pour être visible, il faut se faire entendre, se faire voir, mais aussi et surtout s'afficher publiquement avec d'autres adolescents.Williard Waller, sociologue de l'éducation, démontrait déjà ce mécanisme dans les années 1930 : «De nombreux observateurs ont rapporté que lorsqu'on demande une étudiante au téléphone dans un foyer, elle se fait souvent appeler à plusieurs reprises afin de laisser le temps aux autres filles d'entendre qu'on la réclame. »

p. 44

Cette recherche date déjà (de 2012) et ses références aux réseaux sociaux concernent davantage les blogs de skyrock.com que Facebook. Le propos de Claire Balleys reste pourtant d'actualité. Il montre comment l'utilisation d'Internet par les adolescents prolonge leurs pratiques sociales. Que l'on soit garçon ou fille, la nécessité de s'affranchir de la tutelle parentale et de s'individualiser répond à des schémas bien déterminés.

En tant que parents, enseignants, éducateurs, comment nous positionner vis-à-vis des logiques et des processus sociologiques de l'adolescence contemporaine ? Premièrement, il est important de considérer le contexte socio-historique dans lequel nous socialisons nos enfants. Alors que nous leur demandons depuis tout petit de «s'éveiller», «se découvrir», «s'épanouir», et «s'autoréaliser», ne nous étonnons pas de la propension qu'ils ont à chercher sans cesse des signes de reconnaissance vis-à-vis de cette identité dont il leur faut quotidiennement délimiter les contours. Deuxièmement, quittons nos habits de grands inquisiteurs vis-à-vis de leurs pratiques de sociabilité médiatique. Être en lien avec ses pairs est primordial à l'adolescence, et aujourd'hui être en lien avec ses pairs passe par les outils numériques de communication. Il est dangereux et néfaste de crier au loup lorsque l'on parle des nouvelles technologies, la peur ayant une très grande capacité à s'auto-alimenter.

p. 131-132

L'auteure a mené sa recherche dans plusieurs établissements scolaires genevois, représentatifs de divers milieux sociaux. Elle a réalisé diverses enquêtes, certaines visant des publics mixtes, d'autres des groupes de garçons ou de filles. Elle a complété son recueil d'informations par la participation à diverses activités hors des murs de l'école (voyage d'étude, camp de ski,…).
Grandir entre dolescents
L'observation des interactions sociales dans ces divers contextes lui a permis d'observer les dynamiques à l'œuvre dans la vie réelle. Elle a ensuite analysé en quoi l'utilisation des réseaux sociaux complétait ces échanges et les renforçait. Mme Balleys a été témoin d'actes d'humiliation, sanctionnés, dans la vie réelle. Une constance de sa recherche a été de trouver dans toutes les classes un élève unanimement détesté.

Lorsque je leur posais la question en entretien: « y a-t-il une personne que tout le monde aime dans la classe ? », la réponse a été systématiquement: «non, mais il y a une personne que tout le monde déteste ». Ce phénomène de rejet collectif n'est pas nouveau. On trouve la figure de la victime individuelle de la vindicte du groupe dans de très nombreux témoignages du passé. Le « despotisme des collégiens» n'a pas attendu I'avènement des médias sociaux pour exercer sa force.

p. 129

L'omniprésence des médias sociaux implique cependant une plus grande emprise des brimades sur les victimes.
Les adultes posent des garde-fous, édictent des avertissements, empêchent parfois à leurs adolescents d'accéder à ces espaces de socialisation. Pour l'auteure, c'est faire fi de leurs besoins spécifiques. Elle y voit même le risque de couper une communication confiante avec les parents en cas de problèmes. Pour cette raison, elle prône davantage des règles d'usage, comme la stricte interruption nocturne des connexions, qu'un contrôle des activités sur les réseaux.

L'incompréhension exprimée par les adultes face à certains drames vécus par les adolescents, notamment suite à des échanges médiatisés qui déclarent et entérinent conflits, ruptures, trahisons et autres déceptions sentimentales, témoigne souvent d'une méconnaissance du sens et de l'importance des liens tissés entre pairs dans la construction de soi.

p. 110

L'élément fondamental de la construction identitaire se joue autour de la relation entre une fille et un garçon, le lien social mixte. Pour exister l'adolescent-e doit afficher ce lien, le rendre public. Il doit “être intime tout en affichant publiquement cette intimité”. Cet équilibre lui permet de légitimer sa place dans le groupe de pairs et d'affirmer son autonomie.
En mettant en lien les observations faites dans le contexte scolaire et les échanges médiatisés, l'auteure a vérifié que l'Internet est davantage le prolongement de l'espace public vécu qu'un lieu d'échanges anonymes. Sans exclure les dangers de cet espace, elle en relève le rôle essentiel dans la société actuelle pour la construction sociale de soi qu'elle illustre par de nombreux exemples concrets.

sur le site des presses polytechniques